Philosophie

Pourquoi pleure-t-on ?

Publié le
30/10/23

Les larmes versées sont une expérience solitaire pourtant commune à l’humanité. Des pleurs d’Agar sur son fils jusqu’aux derniers pleurs de l’homme essuyés par Dieu dans l’Apocalypse, les Ecritures Saintes sont parsemées de larmes : le Christ lui-même pleura face à la mort de son ami Lazare. Florian Laguens, maître de conférence en philosophie et enseignant au Collège des Bernardins, nous associe à sa réflexion sur la profonde nécessité des larmes.

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Les philosophes pleurent-ils ? Sans doute. Ni plus ni moins que tout un chacun. Mais ils en parlent rarement. Ni plus ni moins que tout un chacun. Car les larmes sont personnelles. Elles nous découvrent et nous font honte parfois. Pleurer peut être difficile, alors même qu’on perçoit confusément que quelques larmes pourraient nous libérer.

Qu’il est pesant, certains jours, le fardeau de la vie. La tête se baisse, les pieds sont lourds. On aimerait avancer encore mais le cœur n’y est pas. Parler nous aiderait sans doute, mais comment trouver les mots ? Quand la souffrance se fait excessive, quand on voudrait s’allonger comme le prophète Elie et dire « cela suffit », alors pleurer peut s’avérer salutaire. Pour certains une nécessité.

Si cette expérience est commune, qu’y aurait-il à en dire ? Trois réflexions.

Les larmes et la parole

Toute larme est une parole. Les larmes font concurrence aux mots. La gorge serrée, le menton tremblant, la bouche hésitante : les larmes, et a fortiori, le torrent qu’on appelle « sanglots », font concurrence à la parole. On a parlé avant, on parlera peut-être après. Mais certainement on ne parle pas pendant. On pleure seulement. Les larmes prennent ainsi le relais des mots, quand ils ne suffisent plus ou quand ils sont impossibles. Les larmes portent mystérieusement un message, que même celui qui pleure peut être en peine de déchiffrer.

Quand la souffrance se fait excessive, quand on voudrait s’allonger comme le prophète Elie et dire « cela suffit », alors pleurer peut s’avérer salutaire

Les larmes et la vue

Fermé. Celui qui pleure se recroqueville, se replie, se referme, dans un mouvement spontané de protection. Mais il n’est pas complètement fermé celui qui pleure. Justement, les larmes coulent et tiennent ouvertes les portes du cœur. Les yeux sont fermés mais ils ne sont pas inutiles puisque c’est d’eux que coulent les larmes. La lumière n’y entre plus, c’est la nuit. Mais les larmes en sortent. Comme si les larmes révélaient ce que l’œil ne peut voir. Ce qu’aucune lampe ne peut éclairer. Souffrance cachée dans les entrailles, parfois lointaine, que des perles salées font étinceler comme les étoiles dans les ténèbres.

Les larmes et l’autre

Circulez, il n’y a rien à voir. Ou plutôt non, ne circulez pas. Venez plutôt me consoler.

Les larmes sont parfois un appel, parfois un cri, parfois un murmure (...) À l’image de la plainte angoissée du psalmiste : « Qui nous fera voir le bonheur ? » (Ps 4).

Si toute larme est une parole qui dit ce qui demeure invisible, les larmes sont parfois un appel, parfois un cri, parfois un murmure. Une question qui attend une réponse. À l’image de la plainte angoissée du psalmiste : « Qui nous fera voir le bonheur ? » (Ps 4). Pleurer seul est tantôt rassurant tantôt désespérant. Il arrive cependant que soit reçue la grâce de la consolation. Une main sur la mienne, des bras qui m’entourent, une épaule solide. Alors je me relève tant bien que mal, les yeux rougis, le cœur serré.

Suivez l'enseignement (en ligne ou sur site) de Florian Laguens au Collège des Bernardins : Surmonter l'épreuve

Trois références complémentaires :

Catherine Chalier, Traité des larmes, Albin Michel, 2008.

Anne Lécu, Des Larmes, Cerf, 2012.

Xavier Loppinet, Pleurer sans pourquoi, Cerf, 2019.

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