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Théologie

Introduction à Rerum Novarum, la première encyclique sociale (1891)

Publié le
28/8/24
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Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Église, parfois qualifiée du "secret le mieux gardé du Vatican" ? En parcourant 10 encycliques clés, Dovydas Kucinskas, enseignant au Collège des Bernardins, propose de parcourir la richesse de la réflexion menée par l’Eglise sur les défis sociétaux de chaque époque, de 1891 à 2020. Cette réflexion s'ouvre avec Rerum Novarum, publié en 1891 par Léon XIII.

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Dovydas Kucinskas est doctorant à l’Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin de Rome et enseignant au Collège des Bernardins.

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Une encyclique novatrice

1891 : le pape Léon XIII publie Rerum Novarum, la première encyclique dédiée à la morale sociale. Du fait de son caractère novateur, nous associons usuellement cette date à la « naissance » de la doctrine sociale de l'Église. Mais cela ne signifie pas que l'Église ignorait auparavant les questions sociales ! La question du bien dans le champ social se pose depuis l’Ancien Testament… La véritable nouveauté n’est pas tant la thématique que le destinataire de la lettre.

Conscience de cette nouvelle donne et confrontée aux défis sociaux de l’époque, l'Église se réinvente pour composer avec les nouveaux interlocuteurs.

En effet, la fin du XIXe siècle marque un tournant dans la manière dont l'Église s'adresse au monde moderne. À cette époque, la société reste influencée par le christianisme, mais elle n'est plus véritablement chrétienne. Depuis le siècle des Lumières, la société, l'État et l'homme moderne se sont éloignés, voire détachés, de l'Église. Conscience de cette nouvelle donne et confrontée aux défis sociaux de l’époque, l'Église se réinvente pour composer avec ces nouveaux interlocuteurs. Avec Rerum Novarum, elle s’adresse désormais à l’ensemble de la société, devenue une entité autonome, et non plus uniquement aux princes et dirigeants.

Défendre la dignité du travailleur

Dans son encyclique, Léon XIII se dresse en défenseur inflexible de la dignité humaine, en particulier celle des travailleurs. La menace de la condition ouvrière structure toute la lettre, en réponse aux interrogations contemporaines à la révolution industrielle.

Dans son encyclique, Léon XIII se dresse en défenseur inflexible de la dignité humaine, en particulier celle des travailleurs.

L’ouvrier, symbole de grandes mutations du capitalisme et de l’exploitation du travailleur, était en effet au cœur des débats sur la question sociale. Deux voix s’élevaient : d’une part, les socialistes prônaient une égalité totale et l’abolition de la propriété privée ; d’autre part, les libéraux célébraient une autonomie absolue de l’individu, indépendamment de tout engagement social.

Dans ce contexte, Léon XIII éclaire l’alternative chrétienne. Quelle est-elle ? Non une idéologie qui s’impose à une réalité et la transforme, encore moins une utopie, elle est un chemin guidé par la justice et la charité. Le pape est très concret dans sa démarche : réfuter les solutions libérales et socialistes pour sortir d’un dilemme inextricable, et permettre ainsi à chacun de se tourner vers l'horizon du bien commun.

Rejeter le libéralisme et le socialisme

Il commence par réfuter les solutions socialistes en affirmant le droit au propriété privé, qui est de l’ordre naturel et concerne le fruit du travail de l’homme. Il dissipe également le mythe d’une égalité uniforme : tous les hommes sont différents mais tous, sans exception, ont la même dignité.

Dans le même temps, il souligne l’importance du partage pour donner vie à une solidarité concrète et efficace. Par-là, il réfute indirectement les idées libérales.

Grâce aux vertus de la justice et de la charité, l’homme est capable d’user de ses possessions matérielles avec sagesse et intelligente.

En s’inspirant de saint Thomas d’Aquin, il opère une distinction entre la possession et l’usage. Grâce aux vertus de la justice et de la charité, l’homme est capable d’user de ses possessions matérielles avec sagesse et intelligente. C’est-à-dire d’une façon à partager avec autrui ses propres biens, surtout avec ceux qui se trouvent dans le besoin. C’est pourquoi, il rappelle le rôle de l’Etat : protéger riches comme pauvres, car tous sont ses citoyens.

Une encyclique toujours actuelle 

Léon XIII souligne l'importance de la participation de chacun au bien commun, nécessaire à l’épanouissement de la personne humaine et au perfectionnement de la société. Il insiste sur le fait que la recherche du bien commun n'est pas seulement une responsabilité collective, mais aussi une voie vers le perfectionnement moral et social. Ce message prend tout son sens dans le contexte de l'encyclique Rerum Novarum, où Léon XIII aborde les défis posés par l'industrialisation et les inégalités économiques de son époque.

Lors de sa visite en 2010 dans le village natal de Léon XIII, le pape Benoît XVI a salué la clairvoyance de son prédécesseur : « Un pape très âgé, mais sage et clairvoyant, a (ainsi) pu introduire dans le XXe siècle une Église rajeunie, avec l'attitude adéquate pour affronter les nouveaux défis ».

L'exigence de justice sociale, elle, est intemporelle.

Il a reconnu que Léon XIII avait préparé l'Église à affronter les défis émergents de son temps avec une attitude renouvelée et adaptée. Aujourd'hui, les défis sociaux auxquels nous faisons face ont évolué et il est légitime de se demander quelle est la pertinence du message de Rerum Novarum, rédigé il y a plus de 130 ans. Si les circonstances ont radicalement changé, l'exigence de justice sociale, elle, est intemporelle.

Les débats actuels tournent autour des conditions du travail, alors que Léon XIII nous incite à parler plutôt de la condition des travailleurs. Aussi, l’encyclique conserve toute son actualité en nous rappelant que, au-delà des structures économiques, c’est la place centrale de l’être humain, de sa dignité et de ses droits, qui doit rester au cœur de notre réflexion et de notre action pour une société plus juste. Ainsi, en mettant en avant la dignité de la personne humaine dans le cadre du travail, Léon XIII rappelle que c’est cette dimension humaine qui doit guider les débats.

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