Vengeance, justice, et rédemption : le Comte de Monte-Cristo, une œuvre intemporelle
L'adaptation cinématographique du Comte de Monte-Cristo, incarnée par des acteurs talentueux, a séduit aussi bien les lecteurs d'Alexandre Dumas que les passionnés de films de cape et d'épée, rappelant la puissance intemporelle de ce chef-d'œuvre. Au-delà de l'esthétique époustouflante, l'œuvre de Dumas brûle d'actualité par sa profonde exploration des thèmes de justice, vengeance, et rédemption. Les réalisateurs montrent avec brio la quête de justice du célèbre Comte ; dans cet article, nous suivons avec Dumas sa quête spirituelle. Lorsque la justice humaine échoue et que l'homme succombe à la vengeance, reste-t-il encore place pour l'espérance en la justice divine ?
La transformation d'Edmond Dantès
Fidèle à la structure ternaire du roman, le film commence dans la lumière dorée d’un bonheur naïf, celui d’Edmond Dantès (incarné par Pierre Niney), avant sa chute. Cette première partie montre la vie simple et comblée du jeune marin, promis à un avenir radieux. Puis vient la trahison et la plongée dans les ténèbres, avec l'emprisonnement de Dantès dans le Château d’If. Un passage qui symbolise non seulement la destruction de l’homme, mais aussi sa transformation, alors que l'insouciant Dantès se mue en un être consacré à la vengeance, le sombre Comte de Monte-Cristo.
La troisième partie du film, où celui-ci met en œuvre sa vengeance, est à la fois la plus longue, la plus complexe et celle qui souffre le plus des raccourcis nécessaires à l'adaptation au grand écran. Le début de cette séquence présente la stratégie de la vengeance de Dantès, qui privilégie une mort symbolique, plus lente, plus tortueuse, et donc plus douloureuse que la mort physique. La suite montre les personnages emportés par une passion destructrice : André en particulier, "élevé dans la haine" par un Comte décidé à se venger, est dévoré par une rage qui causera sa perte.
Mais l'adaptation, qui dépeint un Comte de Monte-Cristo implacable et déterminé à se venger, semble minimiser les tourments intérieurs d'Edmond Dantès, tiraillé entre son rôle d'instrument de justice et son esclavage à une vengeance dévorante.
La vanité de la vengeance
Là réside pourtant l'une des grandes leçons de l'œuvre de Dumas : la vanité de la vengeance, aussi bien sur le plan éthique que théologique. Dumas, anticlérical mais fin observateur de l'âme humaine, savait que la vengeance ne pouvait jamais être une fin en soi. Il explore alors la révolte de Dantès contre Dieu. Le personnage prend le nom de Monte-Cristo – une référence directe au Christ –, mais se présente comme une figure luciférienne, un antéchrist, défiant la justice divine pour imposer la sienne. Cette révolte est rapidement mise en scène dans le film. Edmond Dantès, se tenant devant le Christ, proclame : "Désormais, c'est moi qui récompense et c'est moi qui punis." Cette réplique marque le passage décisif du marin aimable et doux au redoutable Comte de Monte-Cristo.
Dans un entretien radiophonique récent sur France Culture, la question a été posée : "Le Comte de Monte-Cristo est-il coupable ?". La réponse ne peut être simple. Edmond Dantès, victime d'une terrible injustice, devient à son tour bourreau, pris dans une spirale de vengeance qui le transforme en juge cynique de ses anciens ennemis.
Mais en fin de compte, n'est-ce pas son propre salut qui est en jeu ? La question posée par la dernière partie de l'œuvre, et que le film peine à traiter, est celle de la rédemption possible pour un homme qui s'est lui-même érigé en Dieu, pour ensuite reconnaître (dans les dernières pages), dans un ultime acte d'humilité, que la justice et la sagesse suprêmes appartiennent à Dieu seul : "Dites à l’ange qui va veiller sur votre vie, Morrel, de prier quelque fois pour un homme qui, pareil à Satan, s’est cru un instant l’égal de Dieu, et qui a reconnu, avec toute l’humilité d’un chrétien, qu’aux mains de Dieu seul sont la suprême puissance et la sagesse infinie" (dernière lettre d'Edmond Dantès à Maximilien Morrel, petit-fils de l'armateur Morrel, que l'on ne retrouve pas dans le film)
La quête de rédemption
Le Comte de Monte-Cristo interroge la justice des hommes, la justice divine ; mais elle est avant tout une histoire de pardon, et c’est cette dimension qui confère au roman sa profondeur théologique. Le film, bien que respectueux de l’intrigue originale, se montre moins audacieux dans cette interprétation, préférant mettre en avant la vengeance spectaculaire plutôt que le chemin de la réconciliation intérieure, centrale dans l'œuvre de Dumas. En effet dans celle-ci, le pardon que Dantès accorde à Danglars, son dernier ennemi, marque le point culminant de son voyage spirituel : "Je suis celui que vous avez vendu, livré, déshonoré ; je suis celui dont vous avez prostitué la fiancée [...] et qui cependant vous pardonne, parce qu’il a besoin lui-même d’être pardonné" (Edmond Dantès à Danglars).
Si la dernière réplique du Comte – « Attendre et espérer ! » – résonne toujours dans la scène finale, fidèlement à l'œuvre originale, le film n'explicite pas l’essence de cette espérance qui fait frémir le héros : la recherche d’une justice et d'un pardon transcendant les seules affaires humaines, dans un retour à Dieu.
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