La Doctrine Sociale de l'Église en cinq questions
Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Église, parfois qualifiée du "secret le mieux gardé du Vatican" ? Fruit d'une réflexion attentive de l'Eglise sur son temps, elle désigne l'ensemble des textes du Magistère destinés à guider la conduite du chrétien désireux d'orienter tous les aspects de sa vie vers Dieu. Enrichie au fil des époques, elle constitue un guide précieux dans un monde en perpétuelle évolution, cherchant à concilier foi et réalité sociale. Plongeons au cœur de cette doctrine, avec le père Augustin Bourgue, doctorant en théologie morale sociale.
Augustin Bourgue, doctorant en théologie morale sociale, nous éclaire sur la doctrine sociale de l'église catholique.
1- Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Église ?
La doctrine sociale est l’ensemble des textes et des réflexions de l’Église en matière de théologie morale sociale.
On trouve une définition de la doctrine sociale de l’Église dans l'encyclique de Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis (1987) comme "Un corps de doctrine actualisé qui s'articule au fur et à mesure que l'Église interprète les événements à la lumière de la foi et de la Tradition chrétienne, dans le but d'orienter l'agir chrétien".
La doctrine sociale est l’ensemble des textes et des réflexions de l’Église en matière de théologie morale sociale. Elle éclaire les enseignements de l’Église sur le bien dans le champ social, afin de révéler l’actualité de l’évangile. Elle est une boussole pour aider chaque baptisé à faire le lien entre sa vie de foi et son action dans la société !
C'est bien dans le champ de la théologie morale sociale que le magistère produit le plus : le pape François en est déjà à sa troisième encyclique sociale ! C’est que l'actualité suscite une réflexion qui vient affiner les principes et les valeurs de la doctrine sociale.
"La DSE éclaire d’une lumière qui ne change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent. Cela préserve le caractère à la fois permanent et historique de ce “patrimoine” doctrinal, qui avec ses caractéristiques, appartient à la Tradition toujours vivante de l’Église." (Caritas in Veritatis)
L’expression d’une « doctrine actualisée » nous met ainsi face à cette double-nature de la doctrine sociale de l’Église, à la fois historique et permanente. Toute la théologie morale sociale se retrouve dans cette tension. Son aspect immuable réside dans le cœur de l’évangile et le contenu de la révélation, mais la doctrine se déploie dans le contexte social et temporel.
2- D’où nous vient ce patrimoine doctrinal ? Quelles ont été les évolutions de la Doctrine Sociale ?
L’origine « officielle » de la doctrine sociale de l’Église remonte à l'encyclique de Léon XIII, Rerum Novarum, publié en 1891. Son caractère novateur justifie son statut de texte fondateur : il s'agit de la première encyclique de l'Église à aborder une question sociale. Mais bien sûr, la tradition chrétienne n’a pas attendu Léon XIII pour s’intéresser aux problématiques sociales. La question du bien dans le champ social se pose depuis l’Ancien Testament ! Dans le Pentateuque/la Torah, la question du rapport à l’étranger, au faible, au pauvre… est immédiatement présente. Dans les livres prophétiques également, toute injustice sociale est le symptôme de l’infidélité de l’homme à l’Alliance conclue avec Dieu. De la théologie juive, nous avons gardé cette idée centrale pour la doctrine sociale de l’Église : les rapports sociaux sont le lieu même où se joue la fidélité à Dieu.
La question du bien dans le champ social se pose depuis l’Ancien Testament ! Toute injustice sociale est le symptôme de l’infidélité de l’homme à l’Alliance conclue avec Dieu.
Comment alors expliquer que l’encyclique Rerum Novarum soit publiée en 1891 ? Le XIXème siècle a été une période de bouleversements, marquée tant par l'émergence des nations que par l'affirmation de la société en tant qu'acteur politique. Les sociétés ont commencé à se concevoir comme des entités autonomes, capables de façonner leur propre histoire. Confrontée aux problèmes sociaux de cette époque, l'Église a dû composer avec de nouveaux interlocuteurs, s'adressant désormais à la société dans son ensemble plutôt qu’aux seuls rois, princes et dirigeants.
A partir de Gaudium et Spes, les joies, détresses et espérances du temps sont aussi celles de l’'Église, ancrée dans son temps.
La DSE s’enrichit ainsi au fil des problématiques que rencontrent le monde et la société et s'adapte également à de nouveaux destinataires. L’encyclique Rerum Novarum prend conscience de l’importance de la société comme acteur politique, mais elle s’adresse d’abord aux chrétiens. En 1963, Pacem in Terris marque une césure en ce qu’elle est la première encyclique adressée non seulement aux chrétiens mais à tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Cette évolution s’accompagne d’un changement de mode argumentatif et des fondements mobilisés. Lorsque l'Église s’adresse aux chrétiens, elle se fonde sur la tradition, la loi naturelle, l’évangile… Mais en s’adressant à tous, elle cherche à en expliquer les principes, à partir de l’expérience de chacun et fait de moins en moins appel à des arguments d’autorité.
Les rapports sociaux sont le lieu même où se joue la fidélité à Dieu.
Enfin la dernière grande ligne d’évolution concerne le positionnement de l’Église. En 1961 est publiée l’encyclique Mater et Magistra, fidèle à la position de l'Église comme mère de l’humanité et enseignante. En 1965, dans la constitution pastorale Gaudium et Spes, l'Église situe davantage comme la servante du monde que comme une maîtresse. A partir de Gaudium et Spes, les joies, détresses et espérances du temps sont aussi celles de l’'Église, ancrée dans son temps.
3- Comment se structure la DSE et quels en sont les piliers ?
Il faut davantage parler d’une méthode de la doctrine sociale de l’Église, plutôt que de sa « structuration ». La raison d’être de la doctrine sociale est de regarder une question sociale et de l’éclairer par l’évangile afin de proposer des principes d’actions. Le Cardinal Cardijn en résume ainsi la pédagogie : « Voir ; Juger ; Agir » :
Avec l’aide de toutes les sciences humaines, voir un phénomène et comprendre les enjeux d’une question sociale ; juger c’est-à-dire éclairer cette question à la lumière de la sagesse et de l’anthropologie chrétienne ; enfin l’action est entreprise par le peuple de Dieu, appelé à agir à la lumière des principes et des critères forgés par la doctrine sociale de l'Église.
Chacun des grands principes ont en effet été forgés par la doctrine sociale en vue du discernement des chrétiens, mais chacun naît dans l’Histoire et sont approfondis au fur et à mesure.
Le fondement de la DSE se trouve dans l’anthropologie chrétienne, dont nous pouvons souligner quelques traits : l’homme est créé par amour et pour aimer, il a une vocation à la sainteté, et enfin l’homme par nature est social.
En 2008 est publié le Compendium de la doctrine sociale, comme un effort de structuration de la Doctrine Sociale. Dans cette synthèse thématique des enseignements, nous retrouvons les grands principes de la doctrine :
- La dignité de la personne humaine
- Le bien commun
- La destination universelle des biens
- La subsidiarité
- La solidarité.
La doctrine s’articule également autour de valeurs : Vérité, Justice, Liberté, et Paix, unifiées par la Charité. Une articulation qui nous vient de l’encyclique Pacem in Terris.
Chacun des grands principes ont été forgés par la doctrine sociale en vue du discernement des chrétiens, mais chacun naît dans l’Histoire et sont approfondis au fil des époques et des écrits.
Par sa dimension prophétique, la doctrine sociale de l’Église est un éternel dérangement pour ses contemporains ! (...) La doctrine sociale de l’Église est exigeante. Elle prend au sérieux la responsabilité des chrétiens et veut donc éclairer les consciences en donnant des critères de discernement.
Le danger serait ainsi de lire la doctrine sociale comme un enseignement ex-cathedra, à la lumière de ses principes, et d’en oublier sa nature historique, pourtant essentielle pour la comprendre.
Par exemple, pour comprendre pourquoi l’Église forge le principe de subsidiarité, il nous faut nous replacer dans le contexte de Quadragesimo anno (1931) marqué par la Grande Dépression et la montée des totalitarismes. Ce principe de subsidiarité sera ensuite creusé, enrichit dans le reste des encycliques.
4- Comment est reçue encore aujourd’hui la doctrine sociale de l’Église et comment s’applique-t-elle aux défis contemporains ?
Par sa dimension prophétique, la doctrine sociale de l’Église est un éternel dérangement pour ses contemporains ! Dans les livres prophétiques, le prophète est celui qui va jusqu'à risquer sa vie pour dénoncer l’injustice, car cela vient toucher à l’infidélité à l’Alliance (Jonas à Ninive...). Aussi, si chaque encyclique crée des résistances dans sa réception, c’est qu’elle vient toucher à notre conversion. La doctrine sociale de l’Église est exigeante en ce qu’elle amène chaque fidèle à se poser des questions très concrètes, celle de l’attachement aux biens par exemple.
Si chaque encyclique crée des résistances dans sa réception, c’est qu’elle vient toucher à notre conversion.
La DSE prend au sérieux la responsabilité des chrétiens ! C'est pourquoi elle veut éclairer les consciences en donnant des critères de discernement. Elle responsabilise les chrétiens et tout homme de bonne volonté en les invitant à réfléchir à ce qui fonde le critère de leurs actes.
5- Un conseil pour mieux connaître la doctrine sociale de l’Église ?
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église est un bon outil lorsque l’on souhaite une synthèse de l’enseignement sur une thématique précise ! La conférence des évêques de France a publié en 2014 deux petits livres très faciles d’accès pour davantage connaître la pensée sociale de l’Eglise :« Notre bien commun », en deux tomes.
Pour approfondir :
- Doctrine sociale de l'Église. Une Histoire contemporaine de Baudouin Roger (2012)
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