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Théologie

Introduction à l'encyclique "Mater et Magistra" : personne et communauté

Publié le
28/8/24
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Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Église, parfois qualifiée du "secret le mieux gardé du Vatican" ? En parcourant 10 encycliques clés, Dovydas Kucinskas, enseignant au Collège des Bernardins, propose de parcourir la richesse de la réflexion menée par l’Eglise sur les défis sociétaux de chaque époque, de 1891 à 2020. Décryptage de "Mater et Magistra" (1961), encyclique adressée à l'Eglise par le pape Jean XXIII sur la coopération entre catholiques et non-catholiques dans le domaine économique et social

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Dovydas Kucinskas est doctorant à l’Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin de Rome et enseignant au Collège des Bernardins.

Qu'est-ce que l'enseignement social de l'Eglise catholique ? Comprendre la doctrine sociale de l'Eglise en cinq questions !

« Les êtres humains sont et doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale. » [Mater et Magistra, n°48]

Contexte

En 1961, Jean XXIII publie l’encyclique intitulée Mater et Magistra. Ce double titre désigne l’Église comme mère et éducatrice, ayant pour vocation de guider les hommes vers la plénitude de leur vie. Jean XXIII souligne ainsi la proximité de l’Église avec les hommes, « soucieuse des exigences de la vie quotidienne des hommes » [MM, introduction].

Loin de se placer au-dessus de la société, l'Église s'inscrit au cœur de celle-ci, regardant les hommes dans leur réalité concrète. Aussi, Jean XXIII a le souci dans cette encyclique d’être compris de tous, de toucher le plus grand nombre, en particulier les laïcs engagés dans la vie sociale et économique. Le ton est « direct, concret, positif » (Le Monde, 17 juillet 1961)

Loin de se placer au-dessus de la société, l'Église s'inscrit au cœur de celle-ci, regardant les hommes dans leur réalité concrète

Jean XXIII y aborde une variété de sujets en esquissant les grandes transformations qui marquent les sociétés des pays développés durant les "trente glorieuses". Il revient sur les évolutions scientifiques, technologiques et économiques, ainsi que sur le rôle croissant de l'État.

Trois situations contemporaines illustrent le contexte historique de l'encyclique :

1- La conquête de l'espace, symbole des bouleversements de l'espace-temps (comme l'automobile et les médias audiovisuels) ;

2- L'intervention accrue de l'État pour redistribuer la richesse et assurer une protection sociale à une population dont le niveau de vie s'améliore significativement ;

3- La décolonisation presque achevée, face à la prise de conscience du sous-développement du Sud, tandis que le Nord entre dans une ère de consommation de masse, élargissant ainsi l'écart entre ces deux zones.

Le pape commence sa lettre en rappelant ce contexte, pour mettre l'accent sur la place centrale de la personne dans la société.

La personne humaine au cœur de la société

En effet, parmi les divers sujets abordés dans Mater et Magistra, penchons-nous sur le rappel fait de la place centrale de la personne humaine dans la société.

Le pape revient en effet sur le phénomène émergent de la « socialisation » consistant en une multiplication des relations dans la vie commune. Les personnes nouent de plus en plus de relations sociales, animées par une « tendance à l'association en vue d'atteindre des objectifs qui dépassent les capacités et les moyens dont peuvent disposer les individus » [MM]. Les hommes des sociétés développées deviennent ainsi « le siège de relations sociales toujours croissantes en nombre et en étendue, sinon en intensité ».[MM] Cette « administration » du citoyen le rend dépendant de très nombreux réseaux, le prend en charge à de multiples niveaux de son existence.

« L’homme est le fondement, la cause et la fin de toutes les institutions sociales » [MM]

Cette vivification de la société n’est pas condamnée, mais le pape rappelle le risque qu’elle peut représenter : accorder une telle importance à la collectivité et aux différents groupes conduit à diminuer l'initiative propre, l’exercice de la responsabilité, l'affirmation et l'enrichissement de la personne. C’est pourquoi le pape rappelle un principe essentiel : « l’homme est le fondement, la cause et la fin de toutes les institutions sociales ». Il s’agit ainsi de mettre l'homme au centre, non pas comme un individu isolé qui cherche uniquement son propre intérêt, mais comme une personne ouverte à autrui.

Comment, dès lors, s’articuler la relation entre la personne et la communauté ? Le pape Jean XXIII répond : grâce au bien commun. Qu’entend-il par-là ? Comment définit-il le bien commun ? Il précise : « L'ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité. ». [MM] Les personnes qui cherchent le bien commun contribuent non seulement à l’épanouissement de toute la communauté, mais également au perfectionnement de leur propre personne.

Une activité économique et sociale ordonnée au bien commun

Toujours dans la perspective du bien commun, le pape développe également la question du travail en cherchant à dépasser une conception uniquement matérialiste et utilitariste de celui-ci. Le travail devient alors un moyen de perfectionnement pour l'homme et pour la société tout entière.

Le pape développe  la question du travail en cherchant à dépasser une conception uniquement matérialiste et utilitariste de celui-ci.

En traitant de ces thématiques parla notion de bien commun, le pape élargit notre conception de la société. Il ne se limite pas aux sociétés particulières, il ne s’agit pas uniquement du bien commun de telle ou telle société, mais Jean XXIII parle du bien commun national, et même mondial, c’est-à-dire le bien commun de toute l’humanité.

Le pape rappelle la dimension universelle du bien commun, encore insuffisamment
recherché :« Le problème le plus important de notre époque est peut-être celui des relations entre pays économiquement développés et pays en voie de développement ».

La justice ne remet pas en cause les libertés fondamentales en matière économique, mais elle entend que la société de liberté prônée doit être soumise à l’exigence de recherche du bien commun.

Une nouveauté de cette encyclique est ainsi d’insister sur la « justice » sans lui accoler l’adjectif« sociale ». Justice qui suppose une réduction des inégalités et un effort d’équité dans la répartition des richesses à l’échelle nationale et planétaire, quand trop de pays ou de classes sociales deviennent les laissés pour compte du progrès (comme, c’est le cas, en 1961 mais peut-être encore aujourd’hui, des agriculteurs, auxquels le pape accorde un important paragraphe). Cette justice ne remet pas en cause les libertés fondamentales en matière économique, mais elle entend que la société de liberté prônée doit être soumise à l’exigence de recherche du bien commun. En ce sens, l’intervention de l’Etat est une bonne chose, tant qu’elle n’empêche pas l’initiative personnelle : l’Etat ne doit pas se substituer à la personne humaine, mais son action doit encourager, stimuler, coordonner, suppléer et intégrer. 

« Les pouvoirs publics doivent exercer leur présence active en vue de dûment promouvoir le développement de la production, en fonction du progrès social et au bénéfice de tous les citoyens. » [MM]

En bref, cette encyclique du pape Jean XXIII nous rappelle que la personne doit être au centre de la vie sociale. Mais cela n’est possible que si nous avons comme lumière la Vérité, comme moteur l’Amour, comme objectif la Justice.

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