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Politique

Peut-on être humble en politique ?

Publié le
13/8/24

L’humilité serait-elle une valeur trop souvent oubliée des puissants ? Comment puiser dans les Écritures pour changer notre perception du pouvoir ? Le père Jean-Baptiste Arnaud, co-directeur du département de recherche " Politique et religions" au Collège des Bernardins, explore le pouvoir de l'humilité.

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Le pouvoir est-il incompatible avec l’idée d’humilité ?

J.-B. Arnaud. Au contraire ! L’exercice du pouvoir est vain sans la recherche de l’humilité. L’humilité consiste à être pleinement à sa place, en reconnaissant qui nous a établis dans notre mission, dans quel but et pour qui nous l’accomplissons, mais aussi avec qui nous exerçons le pouvoir. Le pouvoir isole ; l’humilité consiste à s’entourer de personnes compétentes, souvent plus que soi, et à apprendre à travailler en collaboration avec d’autres.

L’exercice du pouvoir est vain sans la recherche de l’humilité. L’humilité consiste à être pleinement à sa place, en reconnaissant qui nous a établis dans notre mission, dans quel but et pour qui nous l’accomplissons.

Mais les responsabilités politiques n'ont pas tendance, paradoxalement, à inviter nos dirigeants à l'humilité. Le pouvoir politique fascine, et aujourd’hui sa conquête passionne parfois plus que son exercice. Cela ne facilite pas l’humilité. C’est en se souvenant qu’ils viennent de la terre, de l’humus, que les dirigeants peuvent rester humbles. Et pourtant ils ne s’en rendront jamais vraiment compte, car l’humilité se contemple chez les autres, mais jamais chez soi, sous peine d’être en fait orgueilleux …

Que nous disent les Évangiles du pouvoir politique ? 

J.-B. A. « Tout pouvoir vient de Dieu », dit saint Paul (Romains 13, 1). Dans l’Évangile, Jésus forme ses apôtres à exercer leurs responsabilités en tant que serviteurs. Il ne leur reproche pas d’avoir de l’ambition, mais il les place devant un choix radical : « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous » (Marc 10, 43-44).

L’exercice du pouvoir conduit au don de soi, au choix librement consenti d’être dépossédé de sa propre vie pour servir la vie d’autres personnes et y trouver sa joie. Avec un réalisme tout à fait pertinent et moderne, Jésus met toutefois en lumière la tentation propre au pouvoir : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands font sentir leur pouvoir » (Marc 10, 42). L’exercice d’un pouvoir, aussi minime soit-il, conduit souvent à vouloir l’imposer, voire à en abuser.

L’exercice du pouvoir conduit au don de soi, au choix librement consenti d’être dépossédé de sa propre vie pour servir la vie d’autres personnes et y trouver sa joie.

L’humilité du Christ dans l’exercice de son pouvoir passe aussi par le choix audacieux qu’il fait dès le début de l’Évangile d’associer des disciples (Marc 1, 17) à sa mission alors qu’il pourrait l’accomplir seul. Après sa résurrection, alors qu’il reconnaît que « tout pouvoir lui a été donné au ciel et sur la terre », il envoie ses disciples en mission, malgré le fait que certains, parmi eux, doutent (Matthieu 28, 18).

L’humilité consiste à reconnaître que le pouvoir confié peut être retiré, qu’il n’est pas perpétuel, que d’autres l’ont exercé avant et l’assumeront après, et que le but du politique n’est pas le salut de l’humanité.

La coopération que Dieu recherche avec les hommes peut inspirer celle des hommes entre eux. Ceux qui exercent le pouvoir doivent s’y engager totalement, tout en acceptant d’être dépassés par leur tâche et en renonçant à vouloir sauver l’humanité. L’humilité consiste à reconnaître que le pouvoir confié peut être retiré, qu’il n’est pas perpétuel, que d’autres l’ont exercé avant et l’assumeront après, et que le but du politique n’est pas le salut de l’humanité.

Peuvent-ils insuffler davantage d’humilité à nos dirigeants ?

J.-B. A. Le dialogue patient et confiant entre les responsables politiques et les représentants des religions, mais aussi de la philosophie, des sciences humaines, favorise l’ouverture de la conscience et l’éclaire aux enjeux de long terme, au sens de l’humain dans toute sa richesse et du mystère de la société dans toute sa complexité. Il s’agit d’éduquer, dès l’école, et de former, tout au long de l’existence, à une anthropologie qui reconnaisse l’homme « corps, âme, esprit » comme un être de don et de relation.

L’Église encourage les institutions à être respectueuses des personnes, en particulier des plus vulnérables. Elle promeut quelques principes fondateurs qui donnent du sens à l’exercice du pouvoir : le service du bien commun, la subsidiarité, la solidarité, le respect de la création et la recherche de la paix.

Il s’agit d’éduquer, dès l’école, et de former, tout au long de l’existence, à une anthropologie qui reconnaisse l’homme « corps, âme, esprit » comme un être de don et de relation.

Au Collège des Bernardins, vous avez travaillé sur la notion de « société juste ». Cette notion intègre-t-elle une telle vision du pouvoir ?

J.-B. A. La justice et l’humilité sont liées dans la mesure où elles contribuent à ce que chacun trouve sa place, grâce aux autres, au service des autres, afin d’établir des relations fraternelles, d’identifier et de servir les différentes composantes du bien commun (conditions de vie, institutions justes, vision de la société). La justice des hommes, distincte mais inspirée de la justice de Dieu, éclairée par les ressources qu’offre la révélation chrétienne, cherche le meilleur pour chacun, le développement intégral de la personne, avec une attention particulière pour les plus fragiles et un plus grand respect de la Création.

P. Jean-Baptiste ARNAUD, docteur en théologie, co-directeur du département de recherche "Politiques et religions" du Collège des Bernardins

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