Penser les ressources du christianisme

Peut-on penser et se confronter au christianisme hors d'une démarche de foi ? Quelles ressources pouvons-nous en tirer ? Rémi Brague et François Jullien confrontent leurs pensées dans un débat où se rencontrent tradition et originalité.

Publié le
7/7/23
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Le christianisme en question

Si notre époque semble être le théâtre d’un « retour de la religion », celui-ci ne s’embarrasse pas toujours de la question d’un « retour de la foi ». Pourtant, il semble parfois difficile d’envisager quels peuvent être les apports de la religion indépendamment de la foi. Bien souvent, on aurait tendance à penser que soit l’on embrasse la religion et l’on s’en nourrit, sous-entendu on y entre par la foi, soit, faute de foi, on laisse la religion de côté.

Mais si l'on ne croit pas ? La religion deviendrait-elle nécessairement absurde ? À la suite de la lecture que François Jullien propose du christianisme, ne pourrions-nous pas y trouver des ressources pour l’homme ?

"Une façon aujourd’hui d'aider le christianisme à déployer sa fécondité serait peut-être de laisser de côté la dichotomie clivante croyance/incroyance. Je pense que nous pourrions traiter de la religion et de l’héritage du christianisme en nous dégageant de la question de la foi." François Jullien

Le christianisme, puisqu’il demeure une des grandes forces structurantes de notre culture, serait-il alors indispensable, comme le défend Rémi Brague, tant à notre humanité qu’à la société dans son ensemble ?

L'Évangile au-delà de la religion ?

Pour Rémi Brague, les textes du christianisme appartiennent à tous et chacun peut s'y confronter.

C'est ce qu'a fait François Jullien dans son ouvrage Ressources du christianisme (mais sans y entrer par la foi), publié en 2018 aux éditions de l'Herne. Il "entre" dans l'évangile selon saint Jean pour en dégager quelques grandes ressources, qui profitent à la fois à la réflexion philosophique et à la compréhension de ce texte essentiel de notre culture. 

"Je m’intéresse à la pertinence qui découle du texte de Jean, de sa cohérence, mais je ne me pose pas la question de l’adhérence. [...] Il y a chez Jean la ressource de la dé-coïncidence, qui est le fait de se désolidariser des interprétations acquises pour ouvrir de nouvelles possibilités, faire entendre un nouveau message permettant d’entrer dans une plénitude de la vie." François Jullien

Le christianisme, religion de la liberté

Au-delà de la question des racines et des valeurs, qui sont si souvent invoquées pour des motifs politiques, Rémi Brague affirme pour sa part la spécificité du Christ et la nouveauté radicale de son message. La divinité de Jésus ne s'impose pas de façon verticale, d'une manière qui dicterait obéissance et adoration cultuelle.

À la différence de François Jullien, il souligne que Jésus n'est pas un "homme qui se prend pour Dieu". Il a plutôt "joué le rôle de Dieu", sans revendiquer sa propre divinité. C'est d'ailleurs par là qu'il se différencie des dieux et des déesses composant les panthéons des religions polythéistes.

"Le Christ ne s'affirme pas comme Dieu de façon autoritaire mais se présente comme quelqu’un qui guérit, qui rend la vie et qui enseigne, qui raconte des histoires ayant pour but de libérer ceux dont il parle. Il montre par sa vie «qui est Dieu». C’est pourquoi il ne se sauve pas sur la Croix : il est venu non pour se sauver soi mais pour sauver les autres." Rémi Brague

L'exigence morale comme libération

Ce salut libérateur ne saurait d'ailleurs faire l'économie de l'impératif éthique. La libération qu'apporte le Christ signifie la sortie de l'état de péché, qui est un état de mort spirituelle, d'emprisonnement dans l'iniquité et le vice. La salvation, fondée sur l'Amour, suppose donc aussi la droiture morale.

"Il est fondamental d’aborder la question morale, qui est galvaudée est très mal comprise aujourd’hui. C'est une libération, une ab-solution, dans le sens de défaire les liens qui emprisonnent [...] les chrétiens signalent les prisons dans lesquelles les humains s’enferrent. Il s’agit de libération, alors que la plupart des gens se croient libres mais sont en fait les esclaves de tendances et de déterminations intérieures et extérieures." Rémi Brague

On voit à l'issue de cette rencontre que le christianisme, cette "affaire dont nous sommes embarrassés" selon François Jullien, est loin d'avoir épuisé toutes ses ressources. Au contraire, son message continue de nous parler et reste fécond pour notre époque. Il n'a pas fini d'imprégner notre culture et notre réflexion, comme en témoigne ce débat passionné. 

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