![](https://cdn.prod.website-files.com/6422de6e2ee58ad473c516d8/67aa21ad3dbd75858867e416_sacre-coeur.webp)
Dilexit Nos : le Pape François nous interpelle
Pourquoi faut-il lire Dilexit Nos ? Selon Laurent Landete, le message du pape s’adresse à nos sociétés contemporaines mais aussi à chacun d’entre nous, personnellement.
« Il nous a aimés. » Tel est le titre choisi par le pape François pour son encyclique Dilexit Nos, publiée le 24 octobre 2024. À l’occasion du 350ᵉ anniversaire des apparitions du Sacré-Cœur de Jésus à Paray-le-Monial, ce texte aborde l’amour divin et le rôle que cette dévotion peut jouer dans nos sociétés contemporaines. Laurent Landete, directeur général du Collège des Bernardins, partage sa lecture personnelle de cette encyclique et ses implications pour notre monde d’aujourd’hui.
Le pape François a marqué son enseignement par des textes d’une grande portée politique et sociale. Après notamment Laudato Si, qui aborde les enjeux écologiques, et Fratelli Tutti, qui traite de la fraternité universelle, il propose aujourd’hui Dilexit Nos. Comment cette nouvelle encyclique sur le Sacré-Cœur s’inscrit-elle dans la continuité de ces deux textes majeurs ?
Tout le magistère Social de l’Eglise prend sa source dans la contemplation du Cœur du Christ.
Le pape le dit très bien lui-même : “ le contenu des encycliques sociales Laudato si’ et Fratelli tutti n’est pas étranger à notre rencontre avec l’amour de Jésus-Christ. En nous abreuvant de cet amour, nous devenons capables de tisser des liens fraternels, de reconnaître la dignité de tout être humain et de prendre soin ensemble de notre maison commune”. Autrement dit : tout le magistère social de l’Eglise prend sa source dans la contemplation du cœur du Christ.
Lire nos articles sur : La Doctrine Sociale de l'Église
Malheureusement, certains ont pu lire ces deux encycliques avec un regard exclusivement politique. Pourtant, leur véritable portée, l'écoute attentive du cri de la Terre et du cri de l’Homme, nous dispose à une compassion nouvelle qui déborde de nos habitudes, de nos schémas religieux. Dans Laudato si’ le pape nous rappelle que “L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création” (§ 77). Puis dans Fratelli Tutti, il nous invite à contempler la figure du Bon Samaritain * (Lc 10:25-37), modèle de l’attention à l’autre, du soin et d’un amour fraternel qui transcende les limites que nous posons trop souvent pour aimer. Cette parabole nous invite à vivre l’amour jusqu’au bout : « Va, et fais de même ».
Bien sûr, il y a une dimension politique à la charité.
Aimer la création avec le cœur du Christ pour modèle, c’est comprendre qu’Il la sauve tout entière. Aimer nos frères en humanité avec le cœur du Christ pour modèle, c’est brûler de charité pour eux. C’est un message très fort, celui d’un amour qui embrasse toute l’humanité et son environnement, tout le cosmos.
Dilexit Nos doit être accueillie avec la nécessité d’une relecture des textes précédents.
Bien sûr, il y a une dimension politique à la charité, mais de quoi procède cette dimension politique ? De l’attachement au Christ et de l’attachement à son cœur. En ce sens-là le pape François se situe dans la grande tradition de ses prédécesseurs. Ainsi, il faut regarder ce pontificat avec une vision binoculaire pour y découvrir à la fois un message profondément spirituel, centré sur le Christ, sur la miséricorde et à la fois les implications sociales que cela engendre.
Dilexit Nos doit être accueillie avec la nécessité d’une relecture des textes précédents. Pour moi, cette encyclique est l’un des plus beaux traités spirituels que j'aie jamais lus.
Que pensez-vous de la réception de cette encyclique ?
Là où les missiles s’orientent, choisissez les « missiles du cœur ».
Je pense qu’elle arrive au bon moment. Nous traversons une époque de confusion et de détresse mondiales, marquée par la perte de repères. Ce texte nous recentre sur l’essentiel et adresse un appel clair : là où les missiles s’orientent, choisissez les « missiles du cœur ». Là où l’on donne la priorité à l’intelligence artificielle, privilégiez l’intelligence du cœur et l’attention aux plus petits, qui ne supporte rien d’artificiel.
Le pape choisit de parler de cœur et d’amour dans un monde marqué par des crises profondes, comment ne tombe-t-il pas dans la niaiserie ?
La force de l’Église, c’est de recentrer les choses de telle manière que tout message ayant une dimension politique, au sens noble, soit centré sur le Christ, et que toute spiritualité soit centrée sur la Parole de Dieu.
C’est toujours pareil : quand on parle d’amour, on vous rétorque « attention à la niaiserie », et quand on parle d’attention aux plus fragiles, on vous dit « vous faites de la politique ». Évidemment, il y a des dérives. Il y a des déviances politiques, et il y a des déviances spiritualisantes. C’est précisément ce que dénonce le pape François : le risque de considérer la dimension politique sans l’éclairage de la sagesse spirituelle du Christ, ou, à l’inverse, de déconnecter la spiritualité des attentes et des souffrances des hommes. Je pense que la force de l’Église, c’est de recentrer les choses de telle manière que tout message ayant une dimension politique, au sens noble, soit centré sur le Christ, et que toute spiritualité soit centrée sur la Parole de Dieu.
Ces quatre encycliques nous placent sur un point d’équilibre.
En prenant ces encycliques de manière globale, on saisit toute la portée du message. On a tendance à oublier la première encyclique de François, Lumen Fidei, qui est en quelque sorte inaugurale. Elle nous centre sur le caractère lumineux de la foi pour éclairer notre pensée et pour agir avec constance en ce monde. “ Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir” nous dit le livre d’Isaïe (Is 7, 9). Ces quatre encycliques nous placent sur un point d’équilibre. À condition, bien sûr, de n’en oublier aucune, et de regarder dans chacune le tout du message.
L’histoire spirituelle française a une place de choix dans Dilexit Nos. Quel message la communauté catholique de France peut-elle y entendre ?
On a trop souvent tendance à dire que le pape n’aimerait pas la France ou la regarderait d’un air distant, alors que ce n’est absolument pas le cas. Le Saint-Père est l’un de ceux qui rappellent cette notion de « fille aînée de l’Église », bien qu’il ajoute qu’elle « n’est pas toujours fidèle ».
La valeur de la France dépasse les perspectives et les postures identitaires.
Tout récemment, il publiait un autre texte sur le rôle de la littérature dans le cheminement spirituel, laissant une large part à la culture française qu’il connait bien. Dans Dilexit Nos, il nous invite à redécouvrir la spiritualité française qui a nourri le monde entier. Une histoire où la France a été une véritable « éducatrice des peuples », selon les mots de Jean-Paul II en 1980. François nous adresse un message clair : la valeur de la France dépasse les perspectives et les postures identitaires. En partant de la Parole de Dieu, il déroule cette histoire de la sainteté en France, avec saint Vincent de Paul, sainte Marguerite-Marie, saint François de Sales ou encore sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Une histoire tissée de fils d’or, d’un fil spirituel cohérent qui annonce à temps et à contretemps l’amour et la miséricorde divine.
Lire un article sur : Le spirituel, une ancre pour le monde, une boussole pour les temps.
François invite la France non pas à ériger son identité en symbole de supériorité, mais à se montrer humblement reconnaissante d’avoir reçu un message destiné à toutes les cultures.
Lors de mes voyages en Chine ou en Amérique du Sud, dans des régions pauvres ou reculées, j’ai souvent été frappé de découvrir des maisons où le Sacré-Cœur était honoré. Je me souviens notamment d’une famille chinoise, chez qui une grande image du Sacré-Cœur occupait une place centrale de leur salle à manger, exprimant une profonde reconnaissance envers la France d'avoir transmis ce message.
François invite la France non pas à ériger son identité en symbole de supériorité, mais à se montrer humblement reconnaissante d’avoir reçu un message destiné à toutes les cultures.
Cette encyclique fait également la part belle à la sensibilité personnelle, y a-t-il un passage ou une idée qui vous a particulièrement marqué ?
C'est simple et en même temps empreint d’une grande profondeur.
L’aspect poétique de cette encyclique est touchant. Deux passages, en particulier, m’ont frappé. Le premier, où le pape rappelle l’importance du cœur à travers les souvenirs. Il revisite cette dimension intime de l’être humain : les petites choses de la vie, les instants qui façonnent notre mémoire. Il souligne que le cœur du Christ vient toucher ces moments intimes. Cet amour rejoint même les plus petits détails de notre existence. La grande sensibilité de l’auteur révélée dans ces passages m’émeut à chaque lecture. C'est simple et en même temps empreint d’une grande profondeur.
Es-tu capable de pleurer pour ceux qui souffrent ?
Le second passage qui m’a bouleversé est celui où François évoque les personnes en fin de vie, notamment à travers l’exemple de grands-mères qui vivent dans des zones de conflit. Alors qu’elles seraient en droit de se réjouir de ce qu’elles ont transmis tout au long de leur vie, elles en viennent à vouloir mourir parce que la guerre leur a pris enfants et petits-enfants. Ce qui me frappe, c’est cette interpellation poignante que le successeur de Pierre nous adresse : « Voir des grands-mères pleurer sans que cela nous soit intolérable est le signe d'un monde sans cœur. » Cela fait écho à une autre parole qu’il avait prononcée au début de son pontificat, à l’intention des prêtres mais qui peut être destinée à tous : « Vos larmes sont les lunettes de la miséricorde. ». En d’autres termes, es-tu capable de pleurer pour ceux qui souffrent ? Pour ceux qui te sont confiés ? Es-tu touché par un jeune en échec, un parent endeuillé, un enfant hospitalisé, ou bien ton cœur s’est-il retranché derrière une foi purement intellectuelle ? Cette encyclique nous rappelle la complémentarité entre le cœur et la raison. On dit souvent que le plus long pèlerinage est celui qui mène du cerveau au cœur. Ce texte nous invite à descendre dans une dimension plus profonde de l’être.
Si l’écoute et l’étude de la Parole ne nous mène pas au cœur, nous sommes comme morts.
Lire un article sur : La révolution joyeuse de Corita Kent : art et justice sociale
Ainsi, pour un lieu comme les Bernardins, cette encyclique est essentielle. Nous sommes un espace d’étude, de réflexion et de formation. Ce texte nous donne un avertissement salutaire : si votre travail intellectuel ne s’ancre pas dans les réalités de ce monde, dans ses angoisses, ses joies, ses tristesses, vous ne remplirez pas totalement votre mission. Votre égo peut être satisfait, mais vous ne toucherez pas les gens.
Elle est « vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace […] elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4, 12). Si l’écoute et l’étude de la Parole ne nous mènent pas au cœur, nous sommes comme morts : morts à la vie, morts à la relation, morts à l’amour. Nous devons sans cesse tisser un lien entre l’étude, la contemplation et l’action, la foi et la raison, afin que de l’amour de Dieu nous transforme et nous pousse à rejoindre les autres et particulièrement les plus petits pour agir.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui cherche à lire cette encyclique ? A quoi doit-il s’attendre ?
Laissez-vous guider par ces paroles toutes simples.
Pour quelqu’un qui n’a jamais ouvert une encyclique, je dirais de commencer par lire le titre en français. « Il nous a aimés » parle davantage que « Dilexit nos ». Ensuite, laissez-vous guider par ces paroles toutes simples. C’est un message qu’on retrouve dans la devise du cardinal Newman : « Le cœur parle au cœur ».
Pour mieux en comprendre le contexte de sa publication, cette encyclique a été écrite à l’occasion du 350e anniversaire des apparitions du Cœur du Christ à Paray-le-Monial. Ce message du Sacré-Cœur qui a façonné la spiritualité, la culture, l’art et l’architecture de notre pays, se concentre sur trois piliers essentiels. Le premier : « Voici ce cœur qui a tant aimé le monde », invite à prendre conscience de l’amour immense du Christ pour chacun d’entre nous. Le deuxième : « L’amour n’est pas aimé », nous saisit, nous remet en question, nous rappelle que cet amour reste souvent sans réponse. Et le troisième : « Aide-moi à attirer les cœurs à mon cœur », est une demande suppliante de Dieu pour que nous soyons des témoins audibles et crédibles. On n’annonce l’Évangile que « par attraction », disait aussi Benoît XVI.
Pour lire l’encyclique Dilexit Nos, cliquez ici
* La parabole du Bon Samaritain raconte l’histoire d’un homme blessé secouru par un Samaritain, tandis qu’un prêtre et un lévite l’ont ignoré en passant leur chemin.
Saviez-vous que près de la moitié des ressources du Collège des Bernardins provient de vos dons ?
Les Bernardins sont une association à but non lucratif qui vit grâce à la générosité de chacun d'entre vous. Votre don soutient notre vocation : promouvoir un dialogue fécond au sein de notre société. Je donne