Théologie & géométrie
La Fête de la science s'est déroulée pour sa 28ème édition du 5 au 13 octobre 2019 : plus de 6 000 événements organisés à Paris pour percer les mystères de la science. L’occasion de revenir sur une analogie faite par le pape François, chimiste de formation, entre théologie et polyèdre.
Le pape François parle de géométrie
Lors de ses discours, le pape François, chimiste de formation, nous donne à goûter à un vocabulaire relevant des sciences notamment lorsqu’il emploie le mot de polyèdre. À Vérone, le 21 novembre 2013, lors d’un message vidéo commentant le thème d’un colloque sur la doctrine sociale de l’Église, le pape François vient à comparer l’humanité à un polyèdre :
« Il me plaît d’imaginer l’humanité comme un polyèdre, dans lequel les formes multiples, s’exprimant, constituent les éléments qui composent, dans la pluralité, l’unique famille humaine. C’est cela, la vraie globalisation ! »
Au numéro 236 de son exhortation apostolique, Evangelii Gaudium, le pape François reprend le terme de polyèdre comme modèle pour exprimer une nouvelle fois la pluralité des peuples que compose l’unique famille humaine. Le 21 juin 2019, en visite à Naples à l’occasion de la conférence dont le thème est « la théologie après Veritatis Gaudium dans le contexte méditerranéen », le Souverain Pontife s’exprime sur le travail théologique en disant :
« Je rêve de facultés théologiques où l’on vit la convivialité des différences, où l’on pratique une théologie du dialogue et de l’accueil, où l’on expérimente le modèle du polyèdre du savoir théologique, au lieu d’une sphère statique et désincarnée. »
Dans ce dernier cadre, le polyèdre devient le parangon du travail théologique. Le pape François propose ainsi un nouveau paradigme pour la théologie qui nous invite à poser la question suivante : qu’est-ce qu’un polyèdre ?
Qu’est-ce qu’un polyèdre ?
D’un point de vue étymologique, le mot polyèdre signifie à plusieurs faces. Il s’agit d’une forme géométrique à trois dimensions dont toutes les faces sont des polygones. Par exemple, le cube est un polyèdre. Connus depuis l’Antiquité, les polyèdres ont joué un rôle important aussi bien en philosophie que dans le développement des mathématiques et les interrogations, qu’ils ont suscité, ont tissé des liens avec différents domaines scientifiques. Dans la connaissance et l’analyse des propriétés des figures géométriques, Pythagore et son école (entre 590 et 550 av. J.-C.) jouent un rôle pionner. Ses disciples lui attribuent la découverte des cinq solides parfaits, cinq polyèdres : le tétraèdre, l’octaèdre, le cube, l’icosaèdre et le dodécaèdre. Les faces de ces polyèdres sont des polygones réguliers identiques. Par exemple, le dodécaèdre est formé de douze pentagones.
Les géomètres contemporains de Pythagore parvinrent à montrer qu’à l’aide de trois polygones réguliers : le triangle, le carré et le pentagone, il est possible de bâtir cinq polyèdres réguliers : le tétraèdre, l’octaèdre, le cube, l’icosaèdre et le dodécaèdre. L’apport de Platon à l’histoire des polyèdres est central, au point que les cinq polyèdres réguliers sont appelés « solides ou polyèdres platoniciens ». La grande originalité de Platon consiste à caractériser le feu, l’air, la terre, l’eau et l’univers par des formes polyédriques.
L’histoire des polyèdres se poursuit par les travaux d’Archimède (297-212 av. J.-C.) qui découvre une nouvelle classe de polyèdres dont les faces sont des polygones réguliers, mais qui sont de nature différente, par exemple des triangles, des carrés et des pentagones. Treize polyèdres dits archimédiens sont obtenus à partir des cinq polyèdres platoniciens.
L’étude mathématique des polyèdres se prolonge encore aujourd’hui avec l’apparition de nouveaux polyèdres comme les zonoèdres, un nom qui, nous l’espérons, attisera votre curiosité. Deux remarques conclusives s’imposent. Tout d’abord, nous devons retenir qu’un polyèdre est un objet mathématique pouvant posséder de nombreuses faces construites à partir de polygones différents. La seconde remarque : ces objets sont présents sur notre planète et dans l’espace interstellaire. Par exemple, la baleine mange du plancton qui présente des formes polyédriques et dans l’espace interstellaire se promène le fullerène, un polyèdre. Le fullerène est une molécule de toute beauté composée de douze pentagones et de vingt hexagones. Cette brève histoire des polyèdres nous conduit à poser la question suivante : en quoi le modèle du polyèdre renferme-t-il le savoir théologique ?
En quoi le modèle du polyèdre renferme-t-il le savoir théologique ?
En s’appuyant sur le modèle du polyèdre, le discours du Saint-Père à Naples, prononcé sur l’esplanade de la Faculté pontificale de théologie, dévoile les différentes faces de sa compréhension de la théologie. Elles impliquent une certaine manière de l’enseigner et de l’étudier. Le pape promeut une théologie de l’accueil et du dialogue :
« La théologie, […], est appelée à être une théologie de l’accueil et à développer un dialogue sincère avec les institutions sociales et civiles, avec les centres universitaires et de recherche, avec les responsables religieux et avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, en vue de l’édification dans la paix d’une société inclusive et fraternelle et également de la sauvegarde de la création. »
La théologie de l’accueil et du dialogue a pour fondement l’attitude de Dieu manifestée par Jésus dans l’Évangile qui annonce le règne de Dieu à toutes sortes de personnes. Cette théologie est en mouvement, elle implique la docilité à l’Esprit Saint. Elle invite l’intelligence de la foi non seulement à se laisser interroger par la rencontre avec d’autres religions et d’autres cultures mais aussi à se laisser renouveler par les événements du monde. Elle engendre la communion, elle implique la compassion puisée au Cœur du Christ. Elle conduit, comme nous l’enseigne le Souverain pontife, à « l’assomption herméneutique du mystère du chemin de Jésus qui le conduit à la croix et à la résurrection et au don de l’Esprit Saint. »
En conclusion, la théologie de l’accueil et du dialogue prônée par le pape François est à l’image du polyèdre, composée de nombreuses faces différentes. Elle est une théologie qui se met en dialogue avec la société, les différentes cultures et les religions pour la construction de la paix des personnes et des peuples. Le savoir théologique ne doit pas enfermer la Vérité puisque son approche révèle ses multiples faces à l’image des polyèdres. L’inculturation devient un mot clef dans le travail et la recherche théologique : en cela, le modèle du polyèdre comme savoir théologique a toute sa pertinence. La beauté esthétique du polyèdre, pris comme modèle du savoir théologique, est une invitation à partager la beauté de ce savoir.
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