Pourquoi la démocratie a besoin de la religion

Publié le
5/7/24
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Une société à bout de souffle

Sociologue et philosophe allemand, Hartmut Rosa est mondialement connu pour ses travaux sur la modernité, qu'il étudie en développant les notions sur l'accélération et la résonnance. Que nous dit-il ? En s'intéressant aux structures temporelles de la société, il montre qu'il existe un régime temporel propre à la société moderne, qui se caractérise par l'accélération (Accélération, La Découverte, 2013). 

En effet, le sentiment qui domine le rapport au temps des individus dans une société moderne, c'est justement "le manque de temps", et "la peur d'avoir de moins en moins". Il définit la modernité comme un processus qui met, littéralement, le monde en mouvement - c'est-à-dire que la société moderne a besoin de l'innovation, de l'accélération pour se maintenir. Il ne s'agit plus seulement de conserver ce qui est déjà acquis, mais de croître sans cesse ! Sans cela, sans croissances et innovations, sans un progrès technique constant, notre société s'écroulerait. Il pose son diagnostic : nous sommes prisonniers de cette "immobilité fulgurante".

« Nous devons courir plus vite chaque année pour ne pas tomber dans le gouffre qui nous rattrape de plus en plus vite, notamment avec la crise du climat. » (Résonnance, La Découverte, 2018)

Il a profondément analysé la condition de l'individu occidental dans la « modernité tardive », prisonnier de listes de tâches interminables et de la perte d'espaces de ressourcement spirituel. Dans ces sociétés, caractérisées par la « stabilité dynamique », il faut constamment avancer pour ne pas reculer. La croissance, l'innovation, et la compétitivité sont essentielles pour éviter la relégation, entraînant une pression constante et de nombreuses pathologies mentales, comme le burnout.

Et surtout, comment dépasser ce sentiment d'urgence, qui écrase l'individu moderne, conscient des catastrophes qui le menace ? Le sentiment d'urgence qui pousse à agir, de suite, de façon précipitée, est l'aliénation contemporaine. 

Face à ces nouvelles formes d'aliénation, Rosa propose une nouvelle relation au monde : la résonnance, présentée dans un ouvrage traduit en français en 2018 (Résonance, La Découverte). Contrairement au burnout qui ferme, la résonance ouvre. Elle nous sort du monde froid de la compétition capitaliste, ralentit le temps, et nous connecte à la beauté environnante, qu'elle soit musicale, artistique, ou naturelle.

La résonnance est une forme de transcendance (...) le sentiment d'être en contact avec quelque chose que nous ne contrôlons pas parfaitement (Hartmut Rosa)

C'est justement ce déficit de résonnance qui est à l'origine de la crise démocratique aujourd'hui. Comment la religion peut-elle redonner un souffle à la démocratie ? 

La religion, nouveau souffle de la démocratie

Pourquoi la démocratie a besoin de la religion, par Hartmut Rosa (La Découverte, septembre 2023)

Hartmut Rosa a été invité par le diocèse catholique de Würzburg à intervenir sur la manière dont il voit le rapport entre démocratie et religion. De cette conférence (2022), il publie un essai Pourquoi la démocratie a besoin de la religion (La Découverte, 2023)

Le sociologue ouvre ses propos en reprenant la prière de Salomon : « Donne-moi un cœur qui écoute » (1 Rois 3, 9). Voilà, nous dit-il, l’apport possible des traditions religieuses au profit d’une société à bout de souffle, qui « cherche désespérément des formes alternatives de relation au monde ».

L’individu moderne a le besoin urgent de retrouver des « résonances », de s’arrêter pour écouter une autre voix, pour accepter la rencontre avec autrui et la transformation qu’elle induit. C’est là où la religion peut intervenir dans la mesure où, par ses pratiques, elle témoigne d'une ouverture à l'altérité. 

La démocratie ne se limite pas à exprimer un vote, mais à être entendu, un aspect souvent négligé aujourd'hui, créant une déconnexion des élites. La pratique religieuse, en tant que modèle de résonance, peut revitaliser les institutions politiques.

Pour Hartmut Rosa, la crise démocratique actuelle est liée à ce déficit de résonance, tant chez les politiques que chez les citoyens. Il faut nous dit-il « se laisser appeler », et encourage une politique d'écoute active. La démocratie ne se limite pas à exprimer un vote, mais à être entendu, un aspect souvent négligé aujourd'hui, créant une déconnexion des élites.

La pratique religieuse, en tant que modèle de résonance, peut revitaliser les institutions politiques et aider les individus face à la « stabilité dynamique ». Elle offre une résonance verticale, affirmant que notre existence repose sur une relation répondante, et non sur un univers indifférent. Sans la religion, la société risque de perdre cette modalité essentielle de relation.

"Il est significatif qu’un sociologue qui analyse avec précision les sociétés contemporaines en vienne à tourner son regard vers les ressources potentielles du christianisme". (François Euvé, Etudes n°4309, Novembre 2023)

Rosa suggère que la pratique religieuse, plutôt que l'institution religieuse, peut ainsi offrir un soutien politique et spirituel aux sociétés occidentales. Cette perspective est particulièrement parlante venant d'un héritier de l'Ecole de Francfort, influencée par le marxisme ! François Euvé le souligne "Il est significatif qu’un sociologue qui analyse avec précision les sociétés contemporaines en vienne à tourner son regard vers les ressources potentielles du christianisme". (François Euvé, Etudes n°4309, Novembre 2023)

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