L'espérance chrétienne en temps de crise écologique

Publié le
27/5/24

Depuis 2021, la chaire de recherche Laudato si’. Pour une nouvelle exploration de la Terre, s’attache à réfléchir à l’enjeu crucial des mutations écologiques et sociales, en mobilisant de manière originale les approches scientifiques, spirituelles et artistiques. Après ces trois années de recherche, théologiens, scientifiques et historiens de l’environnement présentent le fruit de leur réflexion lors du colloque conclusif le 27 et 28 mai 2024. Comment opérer un basculement des sociétés humaines vers une nouvelle conception de la Terre qui prendrait en compte chacune des entités du vivant ? Comment maintenir le cap de l’espérance au cœur de la crise écologique ? Entretien avec le père Olric de Gélis, théologien et directeur de la chaire Laudato si’.

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Le père Olric de Gélis co-dirige la chaire Laudato si' depuis 2021. 

Qu’est-ce qui est venu motiver la naissance et le développement de la chaire Laudato’ si ? Pourquoi une telle recherche interdisciplinaire sur les questions environnementales autour de la notion « d’écologie intégrale » est-elle nécessaire ?

Tout d’abord, un rapide historique : le projet de la chaire fait suite à la publication de l’encyclique Laudato si’ en 2015. Frédéric Louzeau, mon prédécesseur, avait eu l’idée de pouvoir lancer une nouvelle recherche d’ampleur sur la question de l’écologie dans l’esprit de cette encyclique, perçue comme une immense opportunité pour dialoguer avec le monde. C’est ensuite en 2019 – 2020 que la chaire est véritablement lancée.

Pourquoi une telle recherche pluridisciplinaire sur l’écologie est-elle nécessaire ? Je voudrais répondre avec deux faits d’actualité. Près de 80% des climatologues, experts scientifiques du GIEC, interrogés dans le cadre d'une étude publiée par The Guardian estiment que la température aura augmenté d’au moins 2.5 degrés d’ici la fin du siècle. Tous pensent que cette augmentation dramatique des températures est liée à une impuissance politique. Ensuite, regardons les campagnes pour élections européennes aujourd’hui : nous ne parlons plus d’écologie, nous ne parlons plus des enjeux du climat, alors même que l’année 2023 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée.

Il devient de plus en plus essentiel de créer des espaces de liberté et de dialogue communs, que ce soit entre la théologie et la science, entre les besoins humains et les impératifs écologiques, ou encore entre les dommages spirituels et les dégradations environnementales.

Comment pouvons-nous agir face à cette impuissance politique et ce désintérêt pour la question climatique ? Nous voulons montrer que l’écologie n’est pas simplement une affaire de spécialistes, mais qu’elle intéresse chacun d’entre nous et recoupe toutes les dimensions de la vie. C’est pourquoi nous faisons dialoguer historiens, théologiens, climatologues, philosophes… La réponse interdisciplinaire est une manière de travailler à cette insensibilité dramatique à l’égard du climat. L'écologie est une question d'une complexité telle qu'elle dépasse le cadre individuel ! C'est pourquoi une réflexion collective s'impose, et c'est précisément ce que la chaire Laudato Si' propose : des pistes de réflexion partagées et un dialogue avec le monde contemporain.

Il devient de plus en plus essentiel de créer des espaces de liberté et de dialogue communs, que ce soit entre la théologie et la science, entre les besoins humains et les impératifs écologiques, ou encore entre les dommages spirituels et les dégradations environnementales. Il est également crucial de renouer avec la pratique sur le terrain (et c’est une spécificité de la recherche du Collège) car c'est là que naît un dialogue fécond. Ce type de dialogue devient une expérience génératrice essentielle, porteuse d'espoir et de collaboration.

Le sentiment d’urgence, voire d’éco-anxiété, est-il compatible avec l’espérance chrétienne ?

L’erreur est souvent faite est d’opposer l’espérance chrétienne avec l’anxiété liée aux questions écologiques. La chaire Laudato si’ montre qu’effectivement on n’est pas condamné au « désespoir écologique ». Mais que signifie ce terme ? Le chrétien n’est pas celui qui affirme que tout va bien et que nous serons sauvés par un Deus ex machina. La foi chrétienne n’a jamais soutenu ces propos. L’espérance écologique est justement d’affirmer l’urgence d’agir ! Le désespoir écologique serait au contraire de dire qu’il n’y a rien à faire, laissons les choses aller comme on peut, c’est un désespoir d’inaction.

L’erreur est souvent faite est d’opposer l’espérance chrétienne avec l’anxiété liée aux questions écologiques (...) L’espérance écologique est justement d’affirmer l’urgence d’agir !

Lorsque l’espérance chrétienne dit qu’il « faut agir », il s’agit de comprendre la finalité de l’action. Si nous n’agissons pas, le monde vers lequel nous nous dirigeons est un monde dans lequel 3.6 milliards de personnes devront être déplacées. On n’arrive pas à imaginer ce que cela représente concrètement : pour illustrer ce chiffre, cela signifierait qu’il faut tripler la population française ! La Terre nous force à vivre les uns avec les autres, et c’est aussi la force du message évangélique d'« aimer ton prochain comme toi-même » de nous amener à le concevoir.

L’espérance terrestre, chrétienne est celle qui s’interroge : comment pouvons-nous rendre le monde habitable pour tous ?

Qu’est-ce que la « conversion écologique » à laquelle nous appelle l’encyclique Laudato si’ ?

Ce que nous dit le pape François est que la conversion écologique est avant tout une conversion au Christ, et cette conversion au Christ implique le soin à la création non-humaine. Nous n’avons qu’un seul créateur, et c’est véritablement un péché contre Dieu que de nuire à sa création terrestre, quelle qu’elle soit.

La conversion écologique est avant tout une conversion au Christ, et cette conversion au Christ implique le soin à la création non-humaine.

La conversion écologique est donc le fait de répondre à un appel clair de Dieu de prendre soin de cet environnement naturel qui nous est confié. Une deuxième dimension est de considérer que nous ne sommes pas seuls à vivre dans le monde : désormais, les personnes vivant à 10 000 km de moi sont mes prochains, et mon prochain souffre de ma propre production de GES. Pour aimer Dieu et pour aimer son prochain, il est indispensable de garder ce monde habitable.

Peut-on continuer à donner un sens à l'action de chaque personne humaine en dépit des déficiences structurelles ?

Dans Laudate Deum, le pape François de nouveau invite chacun à se mettre en mouvement, et il urge à prendre soin des pauvres à tout niveau de l’action, qu’elle soit individuelle ou collective. L’action individuelle n’est pas futile même face à l’inaction politique. Individuellement, il existe des moyens d’actions : par la consommation, par le placement financier.

Le changement de comportement des consommateurs peut changer la donne et influencer les décisions politiques. Un exemple : le succès historique de la mobilisation internationale en 1985, lorsqu’est découvert le gigantesque trou de la couche d’ozone et la responsabilité de l’usage du CFC par l’industrie du froid est la preuve qu’il est possible de faire front contre le réchauffement climatique. Ce qui avait changé la volonté politique était la pression des consommateurs !

Le pape François invite à un “multilatéralisme par le bas”, c’est-à-dire à un processus de négociations internationales prenant acte des réalités des plus humbles

La question de la finance éthique est également l’objet de réflexions au Collège des Bernardins : où plaçons-nous notre argent ? Si nous y faisons attention, nous avons là un levier d’action individuel et collectif gigantesque. Le 15 juillet était la journée la plus chaude enregistrée depuis 15 000 ans et paradoxalement, ce fut la journée dans laquelle il y eut le plus de trafic aérien.

Le pape François invite à un “multilatéralisme par le bas”, c’est-à-dire à un processus de négociations internationales prenant acte des réalités des plus humbles. Pour parvenir à ce nouveau multilatéralisme, il faut de nouvelles procédures de prise de décisions, ”des espaces de conversation, de consultation, d’arbitrage, de résolution des conflits et de supervision sont nécessaires, bref, une sorte de plus grande “démocratisation” dans la sphère mondiale pour exprimer et intégrer les différentes situations” (Laudate Deum).

En février 2024 ont été publiés des entretiens inédits de Bruno Latour : « La religion à l’épreuve de
l’écologie », suivi de « Exégèse et ontologie », des écrits qui éclairent l’importance du christianisme dans la pensée de ce pionnier de la recherche environnementale. Quel est l’héritage de Bruno
Latour ?

Je retiens de Bruno Latour une conviction : la crise écologique amène une “cosmologie nouvelle” : on ne peut plus continuer à penser nature & culture, âme & corps, matière & esprit, comme si c’étaient deux grandeurs séparées. Son intuition était de penser que, dans la crise écologique, le changement cosmologique était d’une telle nature, qu’il fallait que l’homme reprenne la prédication chrétienne. Je crois qu’il a raison - c’est une chance pour l’Eglise. La reprise du thème de la proximité des hommes les uns avec les autres, mais aussi de toute la création avec Dieu est au coeur de la parole chrétienne ; c’est une intuition que Bruno avait trouvé dans les Ecritures Saintes et qu’il a indiquée dans sa recherche.

Je retiens de Bruno Latour une conviction : la crise écologique amène une “cosmologie nouvelle” (...)  Son intuition était de penser que, dans la crise écologique, le changement cosmologique était d’une telle nature, qu’il fallait que l’homme reprenne la prédication chrétienne

Comment envisagez-vous l'impact des recherches de la chaire Laudato Si’ ?

Premièrement, la chaire Laudato Si’ est transformée en département de recherche, au sein duquel la réflexion s’engagera autour de trois axes : l’alimentation, l’urbanisme, la santé. Nous en train de creuser ces perspectives, et de décliner les réflexions aussi en travail pratique.

Une des forces de la recherche au Collège est d’avoir réussi à fédérer différents milieux, et il s’agit d’un véritable soft power à travailler pour influer sur les milieux éducatifs, scientifiques etc.

L’autre piste sont les “Ateliers où atterrir”, inspirés par Bruno Latour. Initiés par le séminaire Les sources de l’insensibilité écologique du Collège des Bernardins, les ateliers Où atterrir ? se proposent d'accompagner des collectifs, paroisses, diocèses.. ainsi que leurs territoires dans un travail de description de leurs conditions d'existence. Nous réfléchissons aujourd’hui à une déclinaison de ces ateliers en entreprise.

Le 27 et 28 mai 2024 se tient donc le colloque conclusif de la chaire Laudato si’, au cours duquel les intervenants formuleront les expressions de ce basculement anthropologique.

Les obstacles structurels et circonstanciels sont connus, les expérimentations locales et situées nombreuses, mais que signifie un basculement anthropologique qui ferait entrer les sociétés humaines dans une nouvelle conception de la Terre prenant en considération toutes les entités quila composent ?

La chaire propose d’articuler trois propositions qui sont peu communes pour la question écologique :

  • Une espérance est possible, nous ne sommes donc pas condamnés au désespoir écologique.
  • Celle-ci doit-être terrestre et pas d’abord pour un « au-delà ».
  • Cette mise en mouvement rouvre un horizon d’attente, qui n’est pas la vision moderniste du progrès.

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