Le collège des Bernardins au coeur du dialogue entre juifs et chrétiens
50 ans après Nostra Ætate, le 23 novembre 2015, un nouveau chapitre de l’histoire des retrouvailles entre juifs et chrétiens s’écrit au Collège des Bernardins : le cardinal Vingt-Trois reçoit solennellement des mains du Grand Rabbin de France Haïm Korsia la "Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir", rédigée par cinq personnalités du judaïsme français. Un geste fort, inspirant, porteur d’espérance et de paix.
Sylvaine Lacout, Directrice du Centre chrétien d’études juives au Collège des Bernardins revient sur cet événement important dans l’histoire des relations entre juifs et chrétiens en France.
1/ Pourquoi cette déclaration est-elle un événement historique ?
Après des siècles de mépris, de rejet allant jusqu’à la persécution, de théologie de la substitution de la part de l’Église vis-à-vis d’Israël, le concile Vatican II va opérer une véritable révolution. Le dialogue entre juifs et chrétiens va enfin commencer à prendre forme. Le 23 novembre 2015 au Collège des Bernardins, 50 ans après la déclaration Nostra Ætate, un bon nombre de juifs dont les signataires de la « Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir » prennent acte de la capacité de l'Église à se remettre en cause et du tournant décisif à portée théologique opéré par cette dernière.
Dans ce chemin vers une confiance renouvelée entre nos deux communautés religieuses, le Collège des Bernardins fut un précurseur, soucieux de faire rayonner l’enseignement de Nostra Aetate.
Nostra Ætate, déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes, rejette l’antisémitisme et l’antijudaïsme et affirme les racines juives du Christianisme. Certes, cette déclaration, votée non sans débats houleux, est imparfaite, timide sur certains points (comme par exemple le rejet définitif de l’idée de peuple déicide). Elle n’en demeure pas moins le point de départ de changements importants dans le regard porté par l’Église sur le peuple juif. Ces changements vont toucher la liturgie, la catéchèse, la responsabilité chrétienne lors de la Shoah, la question de la terre d’Israël...
2/ Quelle fut la portée de ce geste symbolique et significatif posé aux Bernardins ?
La "Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir" appelle, officialise et entérine les points essentiels du changement de regard de l’Église sur Israël :
- Le peuple juif ne peut être tenu responsable de la mort de Jésus ;
- La foi chrétienne n’annule ni ne remplace l’Alliance contractée entre Dieu et le peuple d’Israël ;
- L’antijudaïsme qui a fait souvent le lit de l’antisémitisme est un péché ;
- Le peuple d’Israël n’est pas un peuple banni ;
- Israël a droit à sa terre.
Si des divergences théologiques demeurent, elles ne doivent pas faire oublier « que bien des enseignements chrétiens sont en accord avec ceux de la tradition rabbinique »[1]. Ces changements fondamentaux permettent d’envisager un avenir de fraternité entre Israël et l’Église.
Désormais juifs et chrétiens peuvent marcher comme des frères, porter des projets communs, chercher Dieu ensemble.
Ce geste novateur et audacieux, marquant d’un nouveau tournant l’histoire des retrouvailles entre juifs et chrétiens, fut décliné et enrichi par d’autres textes, à l’échelle européenne et internationale :
- En décembre 2015, des rabbins orthodoxes d’Israël, des Etats-Unis et d’Europe co-signent la « Déclaration de rabbins orthodoxes sur le christianisme. Faire la volonté de Notre Père des Cieux : vers un partenariat entre juifs et chrétiens ».
- En janvier 2016, la Conférence des Rabbins Européens adopte une déclaration sur le cinquantième anniversaire de Nostra Ætate, intitulée « Entre Jérusalem et Rome, le partage de l’universel et le respect du particulier », par la suite approuvée par le Conseil des Rabbins américains. Ces textes reconnaissent la valeur du christianisme et son apport à travers l’histoire.
Au CDDEJ, l’étude approfondie du judaïsme dans ses différents aspects favorise le dialogue et la fraternité.
Dans ce chemin vers une confiance renouvelée entre nos deux communautés religieuses, le Collège des Bernardins fut un précurseur, soucieux de faire rayonner l’enseignement de Nostra Ætate. Désormais juifs et chrétiens peuvent marcher comme des frères, porter des projets communs, chercher Dieu ensemble.
3/ En 2023, le Service national pour les relations avec le judaïsme s’alarmait de la montée de l’antisémitisme en Europe. En ces temps troublés, quels fruits peut porter cette fraternité renouvelée entre juifs et chrétiens ? Quel est le rôle du CCDEJ ?
L’antisémitisme est encore présent aujourd’hui. Lors de la remise de la "Déclaration de fraternité pour un jubilé à venir", le Cardinal André Vingt-Trois s’exprimait ainsi : « Nous ne pouvons oublier les pays qui, dans le monde, ont encore un long chemin à parcourir pour que les juifs ne soient plus les boucs émissaires de leurs malheurs. Ce chemin, ces pays ne pourront pas le faire simplement par chefs interposés. Ils ne le pourront que si les peuples, le peuple élu, le peuple chrétien, sont capables de développer réellement des relations et des collaborations dans le tissu ordinaire de nos communautés ».
La France est redevenue malheureusement un lieu d’antisémitisme. Et il est urgent de combattre les clichés, les erreurs, les mensonges qui peuvent fausser la vision que nos contemporains peuvent avoir des juifs.
La France est redevenue malheureusement un lieu d’antisémitisme. Et il est urgent de combattre les clichés, les erreurs, les mensonges qui peuvent fausser la vision que nos contemporains peuvent avoir des juifs. Les évêques de France en 2021 ont vivement réaffirmé le lien qui unit l'Église à la lignée d’Abraham, que les « juifs sont des frères bien aimés ».
C’est l’enseignement qui est donné au sein même du Centre chrétien d’études juives du Collège des Bernardins : l’étude approfondie du judaïsme dans ses différents aspects favorise le dialogue et la fraternité. Le CCDEJ porte actuellement plusieurs projets : rencontre de jeunes chrétiens et de jeunes juifs sur des débats d’actualité, création d’une yeshiva permettant l’étude commune entre juifs et chrétiens de textes de l’Ancien Testament ; activités communes avec des instances de formation juives….
4/ Plus personnellement, comment cette aventure à la tête du CCDEJ nourrit votre recherche de Dieu ?
Ma mission de chrétienne est d’entrer toujours plus dans le dialogue avec mes frères ainés, dans la reconnaissance de ce qui nous unit, le respect de ce qui nous différencie, et l’affirmation de la permanence d’Israël comme peuple élu, voulu par Dieu, « les dons de Dieu étant sans repentances » (Rm 11, 29).
En tant que catholique, ma recherche de Dieu se doit puiser aux racines juives de la foi chrétienne, dans cette lignée spirituelle unique qui lie chacun de nous à Abraham. La tradition juive vient interroger, et par là-même enrichir l’intelligence de la tradition chrétienne. Mon engagement au CCDEJ ne s’ajoute pas à ma foi, mais en est une composante essentielle. Comme le rappelle le cardinal Vingt-Trois à la fin de son allocution au Collège des Bernardins : « On ne peut pas être témoins de notre foi sans reconnaître notre fraternité ». Ma mission de chrétienne est d’entrer toujours plus dans le dialogue avec mes frères ainés, dans la reconnaissance de ce qui nous unit, le respect de ce qui nous différencie, et l’affirmation de la permanence d’Israël comme peuple élu, voulu par Dieu, « les dons de Dieu étant sans repentances » (Rm 11, 29). Cette mission est plus que jamais unie avec eux contre toute forme de l’antijudaïsme chrétien dans la lutte incessante contre l’antisémitisme si présent parmi nos contemporains.
[1]« Déclaration de rabbins orthodoxes sur le christianisme. Faire la volonté de Notre Père des Cieux : vers un partenariat entre juifs et chrétiens ».
Pour aller plus loin :
Organe de la Conférence des évêques de France, le Service national pour les relations avec le judaïsme (SNRJ), constitue une instance à la fois d’expertise et de dialogue. Il publié en juin 2023 "Déconstruire l'antijudaïsme chrétien", un livre pédagogique pour lutter contre les préjugés qui abîment la fraternité judéo-chrétienne.
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