Michel Fédou : La théologie des religions à l'épreuve du XXIème siècle

Publié le
26/9/23
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Le dialogue interreligieux était au cœur de la visite du Pape à Marseille le 23 septembre 2023, lors des Rencontres méditerranéennes. Face au défi d'un pluralisme religieux croissant, comment la théologie peut-elle honorer la diversité tout en évitant l'écueil du relativisme ? Invité à prononcer la leçon inaugurale de la rentrée de la Faculté Notre-Dame, Michel Fédou, prêtre jésuite, théologien et lauréat du prix Ratzinger 2022, revient sur la nécessité d'un travail d'intelligence de la foi pour nourrir la rencontre et témoigner avec humilité de l'espérance chrétienne. Une belle façon de placer cette rentrée 2023 Collège des Bernardins sous le signe de la fraternité !

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Introduction

Les décennies du XXe siècle ont été marquées par un remarquable développement de ce qu’on a pris l’habitude de désigner par l’expression « théologie des religions ». Certes, la réflexion sur le sujet n’était pas nouvelle, mais jamais elle n’avait pris autant d’ampleur. La formule même « théologie des religions » symbolisait le tournant qui s’était accompli : par contraste avec les anciens traités « De vera religione », qui entendaient avant tout justifier la vérité de la religion chrétienne, on entendait porter un regard plus positif sur les traditions religieuses de l’humanité.

Cette évolution avait été préparée par le concile Vatican II et sa déclaration Nostra aetate (reconnaissant« ce qui est vrai et saint » dans les religions, tout en maintenant la référence au Christ qui est pour les chrétiens « le chemin, la vérité et la vie»). Une vingtaine d’années plus tard, en 1986, eut lieu la fameuse rencontre d’Assise, lors de laquelle les représentants des diverses religions se réunirent pour une journée de prière en faveur de la paix.

La formule même « théologie des religions » symbolisait le tournant qui s’était accompli : par contraste avec les anciens traités qui entendaient avant tout justifier la vérité de la religion chrétienne, on entendait porter un regard plus positif sur les traditions religieuses de l’humanité.

Mais dès les années 1970 certains théologiens avaient voulu aller plus loin, en préconisant une théologie « pluraliste » des religions. Non seulement ces théologiens récusèrent l’interprétation étroite du vieil adage « Hors de l’Église point de salut » et prirent position contre l’approche dite « exclusiviste » de Karl Barth (pour qui les religions n’étaient que des tentatives humaines pour se justifier et sanctifier soi-même), mais ils jugèrent insuffisante l’approche dite « inclusiviste » de théologiens comme Henri de Lubac et Jean Daniélou, qui reconnaissaient certes des valeurs dans les religions du monde mais qui, considérant que ces valeurs pouvaient être intégrées par le christianisme, présupposaient d’emblée la supériorité et l’excellence de cette dernière religion. Karl Rahner avait certes dépassé les positions d’Henri de Lubac et de Jean Daniélou en admettant l’existence d’un « christianisme anonyme » dans les traditions religieuses de l’humanité, mais cela même apparut aux théologiens « pluralistes » comme une forme de récupération indue, insuffisamment respectueuse des diverses religions. Ces théologiens prônèrent une théologie résolument «pluraliste », qui trouva notamment son expression dans les écrits du théologien presbytérien John Hicks  : pour celui-ci, en effet, le christianisme ne devait pas être considéré comme la religion autour de laquelle gravitent les autres religions ( à la manière dont les astres gravitaient autour de la terre dans le système de Ptolémée) ; il fallait plutôt opérer une révolution copernicienne et considérer que toutes les religions, y compris le christianisme, gravitait autour du soleil – en d’autres termes, qu’elles sont toutes autant de chemins vers la Réalité ultime.

Jacques Dupuis entendait concilier la reconnaissance du pluralisme religieux et la référence normative à Jésus Christ comme  « unique » et « universel ».

Cette position radicale suscita nombre de débats à la fin des années 1970 et dans les deux décennies suivantes. Beaucoup reconnurent en effet qu’elle mettait en cause des affirmations essentielles de la tradition chrétienne, et que, en particulier, elle n’honorait pas la confession de foi en Jésus comme « Fils unique » et « unique Médiateur entre Dieu et les hommes »(comme allait notamment le rappeler, en 2000, la déclaration Dominus Jesus de la Congrégation pour la doctrine de la foi). Mais fallait-il pour autant revenir à la conception « inclusiviste » d’Henri de Lubac ou de Karl Rahner ? Des théologiens comme Jacques Dupuis et Claude Geffré tentèrent précisément de trouver une voie intermédiaire entre la position « inclusiviste » et celle d’un « pluralisme » radical. Ce fut notamment la préoccupation centrale de Jacques Dupuis dans son ouvrage de 1997 Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux : il entendait concilier la reconnaissance du pluralisme religieux et la référence normative à Jésus Christ comme « unique » et « universel[1] ». Son ouvrage a certes prêté à discussions ou critiques sur tel ou tel point, mais on ne peut lui dénier le mérite d’avoir voulu, tout à la fois, respecter la diversité des religions et maintenir l’affirmation chrétienne de Jésus Christ comme « unique Médiateur entre Dieu et les hommes ».  

Le dialogue interreligieux ne risque-t-il pas d’être banalisé, ne permettant que des rencontres polies entre croyants ou une simple juxtaposition des points de vue, au détriment du témoignage que les chrétiens sont appelés à rendre ? 

Or il faut bien reconnaître que, depuis une vingtaine d’années, l’intérêt pour la théologie des religions a beaucoup faibli. Michel Younès en faisait le constat dès 2012 dans son livre Pour une théologie chrétienne des religions : il y a, disait-il, une « stagnation » de cette discipline[2]. Son livre faisant sans doute exception car il proposait une réflexion nouvelle sur le sujet : moyennant l’appel au concept de « proportionnalité », il développait une approche qui lui permettait tout à la fois de respecter la diversité religieuse et d’éviter l’écueil du relativisme. Le diagnostic d’une « stagnation » n’en demeure pas moins, et on peut l’expliquer de quatre manières au moins. D’une part, on a pris distance par rapport aux réflexions des années 1970 et suivantes sur l’excluvisme, l’inclusivisme et le pluralisme, jugeant qu’elles étaient trop formelles ou abstraites, et considérant surtout que la théologie des religions étaient parvenue dans ce cadre à une sorte d’aporie : malgré certaines tentatives dans ce sens, il est apparu en fait impossible de concilier l’approche inclusiviste et l’approche pluraliste, et cela même jetait le soupçon sur la problématique sous-jacente. D’autre part (et cela est lié au point précédent), il a semblé beaucoup plus important de se rendre attentif aux expériences concrètes de rencontres entre des chrétiens et d’autres croyants. Mais par ailleurs, ces expériences mêmes ont souvent attiré des soupçons : le dialogue interreligieux ne risque-t-il pas d’être banalisé, ne permettant que des rencontres polies entre croyants ou une simple juxtaposition des points de vue, au détriment du témoignage que les chrétiens sont appelés à rendre ?

La théologie des religions doit répondre à des exigences nouvelles ; moyennant ce renouvellement, elle conserve de grands enjeux et qu’elle doit donc demeurer un champ essentiel de la réflexion.

D’autres facteurs, enfin, contribuent eux aussi à expliquer le moindre intérêt pour la théologie des religions, voire les critiques qui lui sont adressées : d’abord l’évolution du paysage religieux (avec une diminution du christianisme et une progression de l’islam dans certaines régions) ; ensuite la situation de certains pays dans lesquels des croyants ne peuvent pas exprimer librement leur foi ; enfin les manifestations de violence qui ont pu se produire çà et là au nom de telle ou telle religion.

Sur le fond de ces réflexions préliminaires, je voudrais développer deux thèses inséparablement liées : la première est que la théologie des religions, compte tenu des défis précédemment évoqués, doit répondre à des exigences nouvelles ; la seconde est que, moyennant ce renouvellement, elle conserve de grands enjeux et qu’elle doit donc demeurer un champ essentiel de la réflexion.

Il me semble important, à cette fin, de se rendre d’abord attentif à quelques orientations majeures (et pour une part nouvelles) qui ressortent du pontificat de Benoît XVI et surtout du pontificat du pape François. Puis, dans un second temps, je tenterai de formuler ce qui me semble être les exigences d’une théologie des religions aujourd’hui.

[1] Voir J. Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, trad. de l’anglais, Cerf, Paris, 1997.

[2] M. Younès, Pour une théologie chrétienne des religions, DDB, Paris, 2012, p. 12-13.

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La théologie des religions sous les pontificats de Benoit XVI et du pape François

1- Le pontificat de Benoit XVI

Pour ce qui est de Benoît XVI, je me contenterai de rappeler brièvement quatre de ses préoccupations essentielles.

 

Tout d’abord, son exhortation constante à la liberté religieuse – dans la ligne de la Déclaration conciliaire Dignitatis humanae.

Ensuite, sa mise en garde contre le relativisme en matière religieuse. Cela ressortait déjà, à vrai dire, de la déclaration Dominus Jesus qu’il avait signée en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi : il soulignait alors qu’on ne pouvait ,au nom du pluralisme, mettre en cause l’unicité du Christ et l’universalité de son œuvre salvifique.

En troisième lieu, son insistance sur la nécessité d’un fondement religieux dans nos sociétés. Cela ressort déjà de ce qu’il avait dit avant son pontificat, notamment dans le cadre d’un débat à Munich avec le philosophe Habermas. Celui-ci tenait qu’on pouvait ou devait intégrer les apports des religions dans les sociétés modernes, mais que celles-ci ne pouvaient être d’aucune manière des fondements de ces sociétés. Orle cardinal Ratzinger tenait une position différente. Lui-même, certes, ne considérait pas qu’un fondement religieux puisse suffire à garantir une vie commune solide dans nos sociétés modernes ; mais il soulignait qu’un tel fondement était nécessaire à une vie commune vraiment solide – à condition simplement que le religieux lui-même ne pactise pas avec la violence et qu’il soit lui-même régulé par la raison[1]

Ces derniers mots indiquent une quatrième préoccupation qui a habité Benoît XVI : la dénonciation de tout lien entre religion et violence. Cette préoccupation éclaire notamment le passage du fameux discours de Ratisbonne (2006) dans lequel Benoît XVI citait l’empereur Manuel Paléologue : « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ». Comme on sait, cette citation a déclenché une grave crise dans le monde musulman car, vu son contexte dans l’œuvre de l’empereur byzantin, on y a vu une prise de position critique par rapport à l’islam. Mais par-delà cet épisode malheureux, l’idée de fond était à entendre ainsi : la religion ne doit pas céder à la violence, et cela vaut pour toute religion quelle qu’elle soit –donc aussi bien pour le christianisme. En tous les cas, Benoît XVI a eu mainte occasion d’affirmer, non seulement que la religion ne doit pas pactiser avec la violence, mais que le dialogue interreligieux doit être comme tel un rempart contre cette violence et que les religions doivent avoir à cœur de contribuer à la paix.

 

2- Le pontificat du pape François

Quant au pape François, il serait d’abord possible de montrer comment il parle des religions dans ses diverses encycliques ou exhortations apostoliques : ainsi dans La joie de l’évangile, où il met l’accent sur la contribution de ces religions à la paix sociale (n°247-258) ; dans Laudato Si, où il invite les religions à « entrer dans un dialogue en vue de la sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la construction de réseaux de respect et de fraternité » (n° 201) ; dans Fratelli Tutti, où il évoque la responsabilité des religions « au service de la fraternité dans le monde » (n° 271-285). Mais le pape François est aussi intervenu à maintes reprises sur le sujet à l’occasion de voyages en divers pays. Sur la base de tout cet ensemble, on peut entendre de sa part quelques orientations majeures. Il reprend naturellement les insistances de ses prédécesseurs sur un certain nombre de points, en particulier sur l’exigence de la liberté religieuse. Mais on reconnaît aussi des inflexions nouvelles, particulièrement récurrentes dans ses prises de position.

 

Je retiens d’abord le discours qu’il prononce au Caire le 28 avril 2017, et où il précise les trois orientations fondamentales qui doivent guider le dialogue interreligieux : « le devoir de l’identité, le courage de l’altérité et la sincérité des intentions » ; le « devoir de l’identité », car il ne s’agit pas de sacrifier ses propres croyances pour plaire à autrui (comme Benoît XVI, François refuse toute position relativiste ou faussement syncrétiste) ; le « courage de l’altérité », car, dit François, l’autre croyant « ne doit pas être vu et traité comme une ennemi, mais accueilli comme un compagnon de route » ; la « sincérité des intentions » enfin, car le dialogue n’est pas une « stratégie » mais « un chemin de vérité, qui mérite d’être patiemment entrepris pour transformer la compétition en collaboration »[2]

Je retiens ensuite et surtout l’insistance majeure du pape François sur la fraternité. Dès son voyage à Tirana, en septembre 2014, il souligne l’exigence « de voir en tout homme et en toute femme, même en ceux qui n’appartiennent pas à sa propre tradition religieuse, non des rivaux, encore moins des ennemis, mais bien des frères et des sœurs[3]». Quelques années tard, lors d’une rencontre interreligieuse à Abou Dhabi, le 4 février 2019, il commente un logo représentant une colombe avec un rameau d’olivier (ce qui rappelle le récit de l’arche de Noé), et il déclare : « Nous aussi aujourd’hui, au nom de Dieu, pour sauvegarder la paix, nous avons besoin d’entrer ensemble, comme une unique famille, dans une arche qui puisse sillonner les mers en tempête du monde : l’arche de la fraternité » ; « Le point de départ, ajoute-t-il, est de reconnaître que Dieu est à l’origine de l’unique famille humaine. Lui, qui est le Créateur de tout et de tous, veut que nous vivions en frères et sœurs, habitant la maison commune de la création qu’il nous a donnée. Se fonde ici, aux racines de notre humanité commune, la fraternité, comme “vocation commune dans le dessein créateur de Dieu”. Elle nous dit que nous avons tous une égale dignité et que personne ne peut être patron ou esclave des autres[4] ». Le même jour, le 4 février 2019, le pape François signe avec le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb, un « Document sur la Fraternité humaine » ; il y est dit que les musulmans et les catholiques                 « déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère »; il y est également dit que ce document doit être « objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, dans les universités et dans les instituts d’éducation et de formation », et que la Déclaration ainsi signée doit être « une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu’entre les croyants et le non croyants, entre toutes les personnes de bonne volonté[5] ».

Ce thème de la fraternité est si essentiel pour le pape François qu’il en fait l’objet central de toute son encyclique Fratelli tutti, en date du 3octobre 2020. Il y revient lors d’une rencontre interreligieuse à Ur (Irak), en mars 2021 : « nous, juifs, chrétiens et musulmans, avec nos frères et sœurs d’autres religions, nous honorons notre père Abraham en faisant comme lui : nous regardons le ciel et nous marchons sur la terre. Nous regardons le ciel […]. Le ciel nous livre ainsi un message d’unité : le Très-Haut au-dessus de nous nous invite à ne jamais nous séparer du frère qui est à côté de nous. L’Au-delà de Dieu nous renvoie à l’autre du frère. Mais si nous voulons préserver la fraternité, nous ne devons pas perdre de vue le ciel […]. Nous marchons sur la terre […]. La voie que le Ciel indique à notre marche […], c’est la voie de la paix. » La fraternité et la paix : telles sont les deux exigences essentielles, et le pape précise que, selon l’exemple de l’hospitalité d’Abraham, les croyants rassemblés à Ur doivent s’engager « afin que se réalise le rêve de Dieu : que la famille humaine devienne hospitalière et accueillante envers tous ses fils ; qu’en regardant le même ciel, elle chemine dans la paix sur la même terre[6] ».

Je retiens encore un important discours que le pape François a prononcé au Kazakhstan en septembre 2022. Après avoir redit l’exigence essentielle de la liberté religieuse – le « droit de toute personne de témoigner publiquement de sa croyance : de la proposer sans jamais l’imposer » –, François énumère quatre défis auxquels les croyants des diverses religions lui semblent aujourd’hui confrontés : d’abord (compte tenu de la crise du covid) la nécessité de faire face ensemble à la pandémie, «entre vulnérabilité et soin » (les religions sont ici « appelées à être en première ligne, promotrices d’unité face à des épreuves qui risquent de diviser encore la famille humaine » ; la pandémie appelle tous les croyants « à ne pas oublier la vulnérabilité qui nous caractérise » et « à prendre soin de l’humanité dans toutes ses dimensions, en devenant des artisans de communion ») ; en deuxième lieu, le « défi de la paix », cette paix pour laquelle les croyants doivent impérativement s’engager ; en troisième lieu, le défi de « l’accueil fraternel » (les religions ont le devoir de rappeler que « chaque être humain est sacré », et il faut donc « recevoir le frère migrant, l’accompagner, le promouvoir et l’intégrer ») ; enfin, la « sauvegarde de la maison commune[7] ».

Le pape François est encore revenu sur la plupart de ces thèmes lors de son récent voyage en Mongolie – avec, dans le contexte de ce pays grandement marqué par le bouddhisme, une insistance toute particulière sur la valeur de l’harmonie » ; celle-ci, dit-il, est la relation « qui se crée entre des réalités différentes, sans les superposer ni les homologuer, mais dans le respect des différences et au profit de la vie commune » ; et d’ajouter : « qui, plus que les croyants, est appelé à travailler pour l’harmonie de tous10[8] ? ». Dans la suite de son allocution, le pape François redit l’attachement de l’Église catholique « au dialogue œcuménique, au dialogue interreligieux et au dialogue culturel » : la foi de cette Église «est fondée sur le dialogue éternel entre Dieu et l’humanité, incarné dans la personne de Jésus-Christ. Avec humilité et dans l’esprit de service qui a  animé la vie du Maître, venu dans le monde non pas « pour être servi, mais pour servir » (Mc 10, 45), l’Église aujourd’hui offre le trésor qu’elle a reçu à toute personne et à toute culture, en restant dans une attitude d’ouverture et d’écoute de ce que les autres traditions religieuses ont à offrir. Le dialogue, en effet, n’est pas antithétique à l’annonce : il n’aplatit pas les différences, mais aide à les comprendre, les préserve dans leur originalité et leur permet de se confronter pour un enrichissement franc et réciproque[9]. »

 

On le voit : les déclarations du pape François, tout en restant fondamentalement dans la ligne de Nostra aetate, de Dignitatis humanae et de la rencontre d’Assise, manifestent des inflexions nouvelles qu’il importe désormais de prendre en compte. La question qui se pose à nous est dès lors la suivante : comment ces orientations nouvelles peuvent-elles refluer sur la théologie ? C'est à cette question que je voudrais maintenant apporter quelques réponses. 


[1] La conférence de J. Ratzinger a été traduite en français dans J. Habermas – J. Ratzinger, Raison et religion. La dialectique de la sécularisation, Salvator, Paris, 2010, p. 61-85.  

[2] Discours du Saint-Père aux participants à la conférence internationale pour la paix, Al-Azhar Conference Centre, Le Caire, 28 avril 2017 ; dans Jorge Mario Bergoglio Pape François, Le dialogue avec les personnes d’autres religions, Parole et Silence, Paris, 2023, p. 67.  

[3] Rencontre avec les responsables des diverses confessions religieuses, Université catholique « Notre-Dame du Bon Conseil » (Tirana), 21 septembre 2014 (ibid.,p. 21).  

[4] Rencontre interreligieuse. Discours du pape François, Founder’s Memorial (Abou Dhabi), 4février 2019 (ibid., p. 96) ; l’expression entre guillemets est empruntée à Benoît XVI, Discours aux nouveaux Ambassadeurs près le Saint-Siège, 16 décembre2010.

[5] Le texte du document est reproduit ibid., p. 110-121 (mes citations sont extraites des p. 111 et 120-121).  

[6] Rencontre interreligieuse. Discours du Saint-Père, Ur, 6 mars 2021 (ibid., p.171-179 ; mes citations sont empruntées aux p. 171, 174-175 et 179). Le pape François y revient lors de son discours à Noursoultan (Kazakhstan) le 15septembre 2022 : les religions doivent témoigner d’un patrimoine spirituel et moral commun, fondé sur deux piliers : la transcendance et la fraternité » (VIIe congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles », Noursoultan (Kazakhstan), 15 septembre 2022 (ibid.,p. 199-206 ; ici : p. 203).  

[7] VIIe congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles », Noursoultan (Kazakhstan), 14 septembre 2022 (ibid.,p. 185-196).  

[8] Allocution lors de la rencontre interreligieuse à Oulan-Bator, 3 septembre 2023(http://www.chautard.info/2023/09/discours-du-pape-francois-rencontre-interreligieuse-en-mongolie.html)..  

[9] Ibid.

Quelle théologie des religions pour notre temps ?

1) La nécessité d’une réflexion fondamentale sur la religion comme telle.

On comprend certes que Karl Barth, réagissant contre certaines tendances du protestantisme libéral, ait souligné du point de vue chrétien le primat de la Révélation par rapport aux expressions de la religiosité humaine. On comprend aussi que, plus récemment, on ait attiré l’attention sur la nouveauté de l’Évangile par rapport à toute manière de séparer indûment le sacré et le profane. Cependant, l’importance même des religions dans le monde suffit déjà à attester que la dimension religieuse demeure une dimension capitale de l’existence humaine. Et surtout, les évolutions des sociétés modernes invitent à réfléchir sur la contribution que les religions peuvent et doivent elles-mêmes apporter à ces sociétés. Le pape François n’a pas hésité à dire que la religion est « une nécessité pour l’homme, pour qu’il réalise sa fin, une boussole pour l’orienter vers le bien et l’éloigner du mal qui est toujours accroupi à la porte de son cœur » ; les religions, a-t-il également dit, doivent servir les sociétés humaines, d’abord par leur manière de « construire la culture de la rencontre et de la paix », et ensuite, plus fondamentalement, parce qu’elles permettent « l’entrée d’une lumière indispensable pour vivre[1] ».

Certes, nul être humain ne saurait être contraint à une appartenance religieuse. Mais que seraient des sociétés dans lesquelles il n’y aurait plus de religion, plus d’ouverture à un Au-delà ou à une transcendance – quel qu’en soit le nom ? Une réflexion s’impose pour justifier l’importance de ce que Paul Tillich appelait « la dimension religieuse de la culture », ou plus largement l’importance de la religion comme telle et même sa nécessité au service de nos sociétés humaines

 

2) L'enjeu essentiel de la liberté en matière religieuse

On remarque l’insistance constante des derniers papes et du pape actuel sur ce point. La déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse peut apparaître avec le recul comme l’un des textes les plus importants et en tout cas les plus actuels du concile Vatican II. La liberté dont il s’agit doit être entendue en divers sens. C’est d’abord une exigence essentielle pour les sociétés, appelées à respecter le droit des croyants à pratiquer leur religion. C’est ensuite une exigence pour les religions elles-mêmes.

La Déclaration d’Abou Dhabi dit fermement que « les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence à l’effusion de sang » ; certes elle n’ignore pas que dans les faits il n’en va pas ainsi, mais elle souligne qu’il s’agit précisément de graves « déviations », et elle demande à tous « de cesser d’instrumentaliser les religions » au service de la violence : il y va du respect de la dignité humaine, et il y va de Dieu même qui, comme dit le même document, « n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens[2] ».

La théologie des religions se trouve dès lors appelée, non seulement à un travail de réflexion fondamentale sur la religion pour en fonder la légitimité et même la nécessité au service des sociétés humaines, mais aussi à un travail critique sur le passé (car il s’agit de reconnaître lucidement les manières dont la religion a été utilisée au service de la violence ; l’idéal serait même que des croyants de diverses religions puissent s’adonner à ce travail ensemble) ; la théologie est en outre appelée à plaider pour le refus de toute collusion entre religion et violence, et à souligner que les croyants doivent être aujourd’hui, malgré les démentis de l’histoire et de l’actualité, des artisans de paix et de communion..


3) Réfléchir sur les réponses que ces religions peuvent apporter aux défis actuels de notre humanité.

Je ne reviens pas sur ce que j’ai déjà dit sur l’exigence de la liberté, sur le refus de la violence et sur la construction de la paix. Sur d’autres questions aussi, la théologie doit prêter attention aux ressources dont disposent les diverses religions et qui doivent être mises au service des hommes et femmes de notre temps. On pense ici aux graves questions qui se posent dans le champ de l’éthique, ou encore au défi considérable de la crise écologique. Ce sont là autant d’objets majeurs pour une théologie des religions aujourd’hui. S’il s’agit par exemple de la crise écologique, le travail doit consister à reconnaître comment les religions se sont situées historiquement par rapport à la nature, en quoi elles ont contribué (fût-ce à leur insu) à cautionner une domination violente sur cette nature, mais aussi de quelles ressources elles disposent dans leur propre tradition pour éclairer les épreuves actuelles et pour tenter d’y faire face. Les chrétiens doivent apporter sur ce point leur contribution propre, mais d’autres croyants aussi ; la théologie des religions doit faire paraître ce qui, malgré les divergences qui existent par ailleurs, peut favoriser un engagement commun pour des causes qui, comme celles de la justice et de la paix, concernent l’humanité en son ensemble.

4) Développer une réflexion fondamentale sur la fraternité

Le pape François insiste sur l’exigence d’une culture de la rencontre et du dialogue, sur celle de l’hospitalité, et plus que tout sur celle de la fraternité. Il incombe donc à la théologie de prendre en compte cette insistance.

Cela veut dire tout d’abord ceci ; il s’agit de penser la fraternité comme un lien qui unit tous les humains quelle que soit leur religion. Il faut mesurer la nouveauté de ce langage : traditionnellement, en christianisme, les qualificatifs de frères et de sœurs sont réservés aux disciples du Christ et plus spécifiquement aux baptisés (même s’il y a des exceptions ; pensons notamment à François d’Assise qui parle de toute créature en ces termes : « notre frère soleil », « notre sœur la lune »…). Nous devons en tout cas entendre l’insistance de Fratelli tutti et d’autres documents pontificaux : tous sont frères et sœurs. Cela n’empêche évidemment pas de reconnaître que les baptisés sont frères et sœurs dans un sens unique, en tant que créatures nouvelles dans le Christ. Mais tous, quelle que soit leur religion, sont déjà frères et sœurs du simple fait qu’ils partagent l’existence humaine. En ce sens la fraternité est première. Une théologie des religions doit être assurément consciente des divergences entre les croyances religieuses des uns et des autres ; mais jamais ces divergences ne peuvent conduire à fermer les yeux sur l’expérience élémentaire d’être, comme créatures, unis par une solidarité fondamentale qui mérite le nom de fraternité.

Cette expérience est sous-jacente à la vertu d’hospitalité : il s’agit à la fois d’accueillir autrui et de recevoir d’autrui. Accueillir autrui : quelle que soit sa religion, si différente soit-elle de la mienne, l’autre croyant doit être traité comme un frère ou une sœur. Mais aussi recevoir d’autrui : quelle que soit sa religion, si différente soit-elle de la mienne, l'autre croyant est quelqu’un dont je peux apprendre quelque chose. Les Pères de l’Église le reconnaissaient à leur manière lorsqu’ils découvraient, dans tel ou tel écrit de l’Antiquité, des semences du Verbe divin : Clément d’Alexandrie, en particulier, avait à coeur de trouver ces semences qui étaient répandues çà et là parmi les nations et qui contribuaient elles-mêmes à la Vérité tout entière. Au 19e siècle, Newman n'hésitait pas à dire que l’Église était comme Jésus à l’âge de 12 ans : de même que Jésus s’était instruit auprès des docteurs de son temps, l’Eglise apprenait tout au long de l’histoire à travers la fréquentation de sagesses et de religions qui s’étaient développées avant elle et autour d’elle[14]. La théologie des religions peut et doit apprendre, aujourd’hui même, de telle ou telle tradition religieuse, de certains textes juifs, musulmans, hindous ou autres qui témoignent d’un sens profond du divin et de l’humain, ou encore de témoignages de vie exemplaires qui ont été donnés par des sages ou des mystiques de certaines religions.

Une théologie de la fraternité est à même d’aller plus loin encore. Elle peut prendre acte de ce que, dans l’expérience élémentaire d’une rencontre entre les disciples du Christ et des croyants d’autres religions, il y a parfois place pour certaines expressions de la foi – non pas seulement une foi dans le Tout Autre ou dans l’Absolu (quelque soit son nom), mais aussi ou d’abord une foi à hauteur d’humanité, à travers la relation de confiance radicale qui se nouent entre les uns et les autres. L’expérience de la fraternité rend cela possible, et il incombe à la théologie d’en rendre compte.

En tous les cas, le christianisme garde en mémoire la parabole dite du « jugement dernier » dans l’évangile de Matthieu (Mt 25, 31-46). Il y est dit que quiconque aura donné à manger à l’affamé, vêtu celui qui est nu, visité le malade ou le prisonnier, aura fait cela pour le Fils de l’homme lui-même. Sans doute le texte concernait-il d’abord des membres de la communauté chrétienne vis-à-vis de ceux qui, dans cette même communauté, étaient particulièrement dans le besoin. Mais il a certainement une implication plus large : donner à manger ou à boire, visiter le malade ou le prisonnier, ce ne sont pas des gestes réservés à certains, mais tout être humain peut de soi les pratiquer. Une théologie de la fraternité doit réfléchir sur la portée d’une telle révélation et en mesurer les implications. La fraternité n’est pas seulement première ; elle est aussi de l’ordre de l’ultime, car c’est à travers elle que se joue en définitive la relation avec le Fils de l’homme au terme de l’histoire. Si grandes que soient les divergences entre religions, un critère essentiel de l’entrée dans la vie éternelle est dans ce que les uns et les autres auront fait (ou n’auront pas fait) vis-à-vis des « pauvres » (quelle que soit leur forme de pauvreté).

5) La théologie des religions ne doit pas pour autant déserter le terrain des réflexions proprement doctrinales.

Au contraire – c’est le cinquième et dernier point que je voudrais développer – ces réflexions gardent toute leur importance, mais à condition d’être justement situées dans le cadre relationnel que je viens d’évoquer.

Que le christianisme, comme les autres religions, doive continuer d’exposer ses propres croyances ou doctrines, et qu’il doive en rendre compte avec toutes les ressources dont il dispose, cela est évidemment essentiel. L’insistance si nécessaire sur la culture de la rencontre et du dialogue ne saurait dispenser de ce travail d’intelligence de la foi chrétienne. Il n’y va pas seulement d’une exigence interne à la communauté chrétienne qui en tout temps doit rendre raison de sa foi ; il y va aussi d’une exigence du dialogue lui-même, car que serait un dialogue dont les partenaires, par principe, mettraient toujours entre parenthèses leurs croyances respectives et la compréhension qu’ils en ont ? Certes, il existe bien des situations dans lesquelles l’échange au sujet des croyances est malheureusement impossible ; même si ces situations n’empêchent pas d’autres formes de dialogue (à travers la rencontre interpersonnelle, ou l’action commune pour la justice et la paix), elles n’en sont pas moins anormales, et l’on doit ardemment souhaiter qu’il soit toujours possible de s’exprimer librement sur ses propres croyances – pourvu que ce soit dans le respect d’autrui.

Mais cela ne doit pas se faire sans prise en compte de la fraternité entre croyants. La Déclaration d’Abou Dhabi dit que le dialogue entre les croyants, qui « consiste à se rencontrer dans l’énorme espace des valeurs spirituelles, humaines et sociales communes »,« consiste aussi à éviter les discussions inutiles[15] » ; comment entendre cette dernière formule, sinon au sens où les chrétiens et les autres croyants doivent éviter des débats qui, même légitimes en eux-mêmes, auraient pour effet d’entraver l’expérience d’une vraie fraternité au service de nos valeurs communes ?

Cette expérience de la fraternité est donc première et elle doit le rester. Mais là où elle est donnée, il peut y avoir place pour une parole explicite des chrétiens sur leurs croyances et doctrines. Dans le cadre des relations nouées avec d’autres croyants, les uns et les autres peuvent être en effet conduits à s’interroger mutuellement sur ce qu’ils croient et à échanger à ce sujet. Le dialogue devient alors, comme tel, le lieu même d’un témoignage. La fraternité bien vécue conduit jusque-là, car être frères et sœurs c’est pouvoir – si c’est possible, ou si l’occasion en est donnée – se parler mutuellement en vérité. L’échange sur les croyances et doctrines doit s’inscrire dans l’expérience même de la fraternité, et il doit comme tel y reconduire.

Il est vrai que de telles expériences sont sans doute rares. Dans l’immense majorité des cas, la théologie des religions se pratique dans un cadre qui n’est pas celui d’une rencontre effective avec d’autres croyants, mais plutôt « chez soi » – je veux dire, dans le cadre d’un travail personnel, ou d’un enseignement destiné à des chrétiens, ou à la faveur de tel ou tel groupe de réflexion au sein de la communauté chrétienne. Mais ce que j’ai dit sur la fraternité vaut aussi bien dans ce cadre même. La théologie chrétienne doit rendre compte des croyances essentielles qui ont été transmises par les Écritures et la Tradition, et elle doit donc rendre compte, par le fait même, de ce qui fait la différence du christianisme par rapport aux autres religions ; mais elle doit le faire comme si elle s’exprimait toujours en présence des autres croyants, dans le respect de ceux-ci, et avec une radicale humilité – sans autre préoccupation que de rendre simplement raison de la foi chrétienne, de même que les autres croyants sont censés le faire pour leurs propres croyances.


[1] Voyage apostolique en Géorgie et Azerbaïdjan, Rencontre interreligieuse avec le cheick des musulmans du Caucase et avec les autres représentants des autres communautés religieuses du pays, 2 octobre 2016 (J. M. Bergoglio, Le dialogue avec les personnes d’autres religions, p. 58-59).  

[2] Texte signé à Abou Dhabi le 4 février 2019 (ibid., p. 115-116).  

[14] Cf. J. H. Newman, Essays Critical and Historical, Longsman-Green, London, New York, Bombay and Calcutta (new impr.), 1910, vol. II, p. 232.  

[15] Texte signé à Abou Dhabi le 4 février 2019 (ibid., p. 117).

Conclusion

La théologie des religions demeure aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Mais nous mesurons le déplacement considérable qui doit être opéré par rapport aux débats des années 1970 et 1980. La question n’est plus d’abord de prendre position sur le statut des autres religions par rapport au christianisme – que ce soit dans une ligne « exclusiviste », « inclusiviste » ou « pluraliste ». Il s’agit plutôt de se rendre attentif aux relations mêmes des chrétiens avec les autres croyants, de soutenir les liens de fraternité qui doivent les unir pour faire face aux grands défis de la violence, de l’injustice et de la crise écologique, et, cela étant posé, de faire connaître humblement ce que nous croyons et espérons comme membres de la communauté chrétienne.

Que ce soit dans le cadre d’un dialogue effectif ou plutôt – comme cela arrive très généralement – dans le cadre d’une réflexion menée uniquement à l’intérieur du christianisme, le travail d’intelligence de la foi peut certes rendre attentif à certains points de rencontre entre le christianisme et telle ou telle religion, et la théologie des religions peut même conduire à identifier dans d’autres traditions des paroles ou des comportements qui lui apparaissent comme des « semences » de la Parole divine et des manifestations de ce qu’elle nomme l’Esprit Saint – cet Esprit qui, disait Vatican II, « offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal ». Certes, il faut bien reconnaître que, le plus souvent, le travail d’intelligence de la foi fait inévitablement éprouver l’ampleur ou la profondeur des divergences doctrinales. Néanmoins, la conscience douloureuse de ces divergences ne doit pas empêcher les chrétiens et les autres croyants de continuer à marcher ensemble, à s’accueillir mutuellement, à s’engager pour les grandes causes de la justice, de la paix et de la préservation de la maison commune. Et il peut arriver que sur ce chemin même, malgré les divergences qui les séparent et dont ils sont bien conscients, il leur soit donné d’éprouver réconfort et consolation – comme si Quelqu’un marchait incognito sur leur route et, déjà, les soutenait par sa présence à leurs cotés…

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