Frankenstein peut-il nous aider à comprendre le transhumanisme ?
Le roman Frankenstein de Mary Shelley est mondialement connu, notamment grâce au cinéma. Pourtant, connait-on si bien cette œuvre et son potentiel prophétique ? Loin de se limiter à un simple roman fantastique, il nous apporte une réflexion sur les dangers d’un usage prométhéen de la science.
Un roman visionnaire
Le roman raconte l’expérience prométhéenne d’un savant devenu fou. C’est le thème de l’hubris de la raison scientifique qui s’y déploie. La créature, produite en laboratoire, anticipe à sa façon les risques présentés à l’heure actuelle par la biogénétique et des dérives présentes dans les techniques de conception artificielle.
On y voit le créateur complètement dépassé par sa créature. À ce titre, ne pourrait-il pas nous aider à comprendre notre époque de bouleversements technologiques ? Le propos de Mary Shelley, à travers Frankenstein, semble anticiper tous les prophètes du XXe siècle alertant sur les dangers du suprématisme de la raison technique hypertrophiée : Zamiatine, Huxley, Orwell, etc.
« Le savant va fabriquer un homme pour comprendre l’énigme qu’il est à lui-même » Monette Vacquin
La raison scientifique devenue folle
L’histoire de ce roman croise les thèmes de la science prométhéenne et de l’amour. La créature à laquelle le docteur Frankenstein donne naissance désire aimer et être aimée, mais n’y parvient pas et finir par tuer celle-là même qu’elle aime.
« Prométhée n’est pas heureux parce que la puissance que lui donne la science rend l’amour impossible : la créature de Frankenstein aimerait qu’on l’aime, or le scientifique n’a pas été capable de la rendre aimable, et donc digne d’être aimée […] Un des mystères de l’humanité, c’est la facilité déconcertante et tragique avec laquelle l’amour s’inverse en haine destructrice » Jean Duchesne
La comparaison peut être faite avec l’état des relations entre Mary et Percy Shelley à l’époque. Mais son propos est plus général : Frankenstein porte déjà un message prophétique. Celui-ci appelle à se méfier de la perspective d’un monde hyper-rationalisé, qui pose à la science des questions qui ne relèvent pas de sa compétence et ne sont pas de son ressort.
La technique et la science, expressions d’une idéologie
S’y trouve en filigrane, de façon anticipée, la condamnation d’un positivisme plus ancien qu’on ne le pense.
« Frankenstein nous rappelle qu’en dépit de l’apparente extériorité de la technique, ce sont les hommes qui la font, avec leur savoir, leur intelligence et aussi leur inconscient […] aucune science n’est exempte, dans ses outils, le choix de ses objets et son vocabulaire, des questions inconscientes qui traversent une génération ». » Monette Vacquin
Cette hubris que constitue la tentation de demander à la science d’opérer sur des domaines qui ne sont pas le sien et dépassent son objet est un thème récurrent dans l’histoire de la modernité, et sa condamnation intervient souvent à des moments de grande catastrophe historique.
« Je crois que nous sommes dans une crise du rapport de l’interdit et de la raison, dans une sorte de fanatisme de la raison que nous avons à interroger au nom même de la raison, comme l’École de Francfort avait commencé à le faire. À mon sens quand la raison devient toute, elle est totalitaire, elle n’est plus elle-même. » Monette Vacquin
C’est en cela que Frankenstein nous aide à comprendre le projet transhumaniste prométhéen en tant que délire de la raison qui se veut hégémonique et seul discours dans la société.
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