Société

Après le rapport de la CIASE, contribuer à la réflexion

Publié le
1/10/21
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Comment initier un dialogue pour répondre aux enjeux soulevés par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) ? Pour les théologiens du Collège des Bernardins, du Centre Sèvres et de l’Institut catholique de Paris, la démarche implique une profonde remise en question ecclésiale et théologique.

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En octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), créée par l’épiscopat et la Conférence des religieuses et religieux français, a rendu son rapport sur les violences sexuelles dans l’Église de France. Ce dernier estime à 330 000 le nombre de mineurs victimes d’abus commis par des clercs, des religieux ou des personnes liées à l’institution depuis 1950. L’onde de choc est énorme. La commission présidée par Jean-Marc Sauvé pointe non seulement une « mécanique du silence » qui a permis aux agressions de se perpétuer dans le temps, mais aussi une instrumentalisation des enseignements catholiques. Dans ses recommandations, elle invite l’Église de France à « se saisir de ces sujets, en faisant appel aux réflexions portées par les personnes victimes et les laïcs engagés, mais aussi par le monde de la recherche théologique ».

Une priorité : rendre la parole aux victimes

Les trois facultés de théologie de Paris ont répondu à cette invitation en lançant un cycle de conférences pour réfléchir à ces enjeux décisifs, lancer des pistes de réflexion et faire des propositions pour envisager l’avenir. « Il était important de prendre cette initiative car le rapport de la CIASE a été très douloureux pour la vie de l’Église, explique Geneviève Comeau, xavière et professeure de théologie au Centre Sèvres. Il fallait, en premier lieu, rendre la parole aux victimes qui ont trop longtemps été enfermées dans le silence. C’est ce que nous faisons au début de chaque conférence. Pendant des siècles, le péché, le pardon et la miséricorde ont été mis au centre de la théologie de l’Église catholique. Il faut aujourd’hui qu’elle replace le curseur sur les victimes et leurs souffrances : c’est le fondement même de la foi en Jésus-Christ. »

Le rapport de la CIASE insiste en effet sur la dimension « systémique » de ces violences. Il établit par là qu’elles n’étaient pas seulement le fait d’individus isolés, mais qu’elles ont été rendues possibles par un contexte global. Ce sont des fonctionnements, des mentalités, des pratiques au sein de l’Église catholique qui ont permis que ces actes se perpétuent au lieu d’être dénoncés et sanctionnés. Le cycle de conférences initié par le Centre Sèvres, le Collège des Bernardins et l’Institut catholique de Paris s’est emparé de cette problématique et a ouvert une piste : replacer les victimes au coeur du débat pour que celui-ci amène un réel changement. « L’attention portée aux victimes est la condition pour qu’un dialogue soit possible. Il ne suffit pas de désigner l’agresseur pour tourner la page. L’institution doit reconnaître au préalable ses défaillances pour que justice leur soit rendue », ajoute Gilles Berceville, professeur de théologie à l’Institut catholique de Paris.

Des questionnements ecclésiologiques et théologiques

« D’où l’importance que les théologiens s’emparent de la question explique-t-il. Il est clairement établi que l’Église est, après le milieu familial, l’institution la plus touchée par le phénomène de la pédocriminalité. Les théologiens sont directement concernés par cette question dans l’exercice de leur ministère. Il y a donc une question spécifiquement ecclésiale qui touche à l’organisation même de l’Église et en particulier à son enseignement. » Le cycle de conférences a justement été l’occasion d’enclencher un réel dialogue entre théologiens sur ces questions essentielles.

Mais de nombreux freins restent à lever pour pérenniser un dialogue franc autour des enjeux soulevés par le rapport Sauvé, ont constaté les intervenants lors des conférences. « Beaucoup de chrétiens estiment qu’on en fait trop, regrette Gilles Berceville. Les catholiques se perçoivent de plus en plus comme une minorité incomprise et stigmatisée. Les réactions de rejet spontanées sont encore fréquentes, surtout chez les plus jeunes qui ont le sentiment de devoir porter des fautes qu’ils n’ont pas commises. » « La prise de conscience, dans l’Église, ne fait que commencer, complète le P. David Sendrez, professeur de théologie au Collège des Bernardins. Même si des initiatives sont engagées, le processus n’en est encore qu’à ses débuts. »

Comment cheminer ensemble ?

À l’occasion des travaux sur la synodalité, les catholiques ont été invités à s’interroger sur les conditions d’une reconstruction qui éradiquerait les pratiques destructrices. Pour le P. David Sendrez, cette démarche, lancée par le pape François et saisie lors du cycle de conférences, constitue une véritable opportunité pour « penser collectivement la façon de cheminer ensemble et répondre aux questions que cela soulève ». Quelle est la place du peuple de Dieu dans l’institution ? De quelle manière la parole y circule-t-elle ? Comment les catholiques se perçoivent-ils en son sein et quelle image projettent-ils vers l’extérieur ? Comment les décisions sont-elles prises dans les paroisses, les évêchés et, même, au sein de la curie romaine ? Autant de questions directement posées par le rapport de la CIASE et abordées lors des échanges au Centre Sèvres, au Collège des Bernardins et à l’Institut catholique de Paris.

« Un des défis que nous rencontrons est de comprendre que le service du Christ ne doit pas nous placer en position de surplomb, souligne Gilles Berceville. Les risques de fourvoiements ou d’abus de pouvoir tiennent parfois à cette position accordée au prêtre ou à l’évêque. » Pour Geneviève Comeau, « les abus commis par des prêtres que l’on a coutume d’appeler “Pères” ont des effets dévastateurs, chez les victimes, sur l’image du père et sur la relation à Dieu de qui toute paternité tire son nom. »

Les questions aujourd’hui posées à l’Église rejoignent des axes de recherche déjà bien présents dans l’ecclésiologie contemporaine. « L’imaginaire collectif catholique se représente l’Église comme une entité monolithique où le pouvoir s’exercerait de façon pyramidale et homogène, du pape vers la base, sans aucune rupture. Cette vision est entretenue par une certaine prédication et une certaine catéchèse, rapporte le P. David Sendrez. Or, lors de sa contribution du 7 juin à la maison des Évêques de France, le P. Hans Zollner, directeur de l’Institut d’anthropologie (IADC) de l’Université grégorienne à Rome, a décrit l’Église très différemment. Il y a un décalage important entre le fonctionnement de l’Église et le discours habituel sur elle. Pourtant, la théologie savante réfléchit les problèmes ecclésiologiques depuis plusieurs décennies, d’une manière qui tient compte de la situation réelle. L’actualité de la CIASE redonne une visibilité au travail des théologiens. » Transformer cette épreuve en « moment favorable » pour penser l’avenir de l’institution ? C’est possible, pour Geneviève Comeau, à condition de mettre en place « des procédures claires, qui ne laissent pas planer de soupçon, et de transmettre ce devoir de vigilance aux nouvelles générations ».

Propos tirés d’un entretien avec Gilles Berceville, professeur de théologie à l’Institut catholique de Paris, Geneviève Comeau, xavière, professeure de théologie au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris et le P. David Sendrez, professeur de théologie au Collège des Bernardins, pour le hors série "Habiter autrement nos lieux" du magazine du Collège des Bernardins.

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