Le vide, condition de l'expérience spirituelle
En 2015, le Collège des Bernardins prolongeait l’exposition du Louvre « une brève histoire de l’avenir » inspirée du livre de Jacques Attali, par un colloque invitant des représentants de haut niveau des principales confessions ou sagesses mondiales à échanger sur la construction d’un avenir de paix et de coopération. Invitée, Delphine Horvilleur, rabbin, a rappelé la fécondité d'un "vide" condition de la vie spirituelle et intérieure. Un propos à contrepied d'une société qui fuit l'ennuie et ne cesse de remplir les vides...
Le Souffle avant la Terre
Le terme « esprit », « spiritus » en latin, vient du grec « pneuma », qui se traduit par « rouah’ » en hébreu. Ce dernier mot désigne à la fois l’esprit, le vent et le souffle. Cette dimension, qui, dans la Génèse, préexiste à la matière et à la forme, on sait que Dieu l’insuffle à Adam en soufflant dans ses narines, et donne ainsi vie à ce qui était jusque-là une forme de glaise inanimée.
L’Esprit, c’est du Vide
Dieu expire, l’Homme inspire : cette dialectique crée en l’être humain, non pas un plein mais, paradoxalement, un vide. Or, c’est ce dernier qui est fécond. C’est l’expir divin qui gonfle l’homme et le remplit de ce vide qui est la condition de la vie intérieure et spirituelle.
Les fondamentalismes sont basés sur la peur du vide
« Parler d’un vide spirituel déplorable nous empêche de reconnaître que ce vide est au coeur même de toute spiritualité. Toujours, me semble-t-il, il a quelque chose à voir avec la conscience d’un manque, d’une faille, d’un espace intérieur que seul peut avoir le « ballon de baudruche » que nous sommes, qui n’a pris vie que parce qu’on a soufflé en lui ». Delphine Horvilleur
Ce rappel prend tout son sens aujourd’hui. Notre époque trouble et incertaine est marquée par les idéologies qui revendiquent une identité crispée sur elle-même, close et figée, immuable. Le propre du fondamentalisme est de prôner un discours totalisant, qui remplisse le monde et où tout ce que l’on doit vivre et penser est dicté d’avance, promulgué d’en haut.
La fécondité du vide
La liberté créatrice du sujet est donc reniée. La possibilité d’une quête de sens personnelle est exclue, au profit de la réception d’un discours incritiquable, d’un « plein » ankylosé.
Le terme de vide spirituel est fréquemment associé à l’image du désert, à notre supposée pauvreté intérieure. Il serait pourtant salubre de se demander si ce vide, issu de la décomposition des religions traditionnelles, ne serait pas précisément l’opportunité par excellence de la vraie recherche spirituelle, de la liberté créatrice du sujet qui tente de se connaître et interroge le monde.
« Le propre d’une religion dans sa version fondamentaliste est toujours le trop plein de soi, l’occlusion intérieure à l’émergence d’autres voix et d’autres façons d’être au monde. Au contraire, le propre de la spiritualité est ce chemin du souffle intérieur, qui nécessairement va de pair avec le doute et la porosité » Delphine Horvilleur
La faille intérieure, condition de la vie spirituelle
La démarche permettant une réelle réalisation spirituelle serait donc celle qui accepterait la fragilité apparente de cette notion de vide. C’est s’ouvrant à cette faille interne qui bouscule nos certitudes et nos sécurités que nous pourrons trouver notre équilibre et notre chemin.
Cette ouverture, en m’empêchant de me remplir de moi-même et de me renfermer dans mon identité et mes discours, serait alors ce qui me permettrait d’accueillir l’altérité du monde et du prochain et de respirer intérieurement.
Le vide n’est pas l’absence
Ce qui apparaîtrait comme un manque n’exprimerait donc pas tant l’impossibilité de la spiritualité aujourd’hui, mais l’espace ouvert par le recul des religions officielles et de leurs discours. Ceux-ci, qui semblaient structurants, bouchaient en réalité nos horizons intérieurs, limitant la possibilité de faire d’authentiques expériences spirituelles en nous enfermant dans les dogmes et les rites.
Ce que l’on prend pour une absence désertique est donc en réalité un espace de liberté et de recherche intérieure. On mesure la modernité d’une telle conception qui permet de prendre de la distance à l’égard des camisoles verbales des idéologies intégristes et des fondamentalismes.
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