Rencontre avec Sterling Ruby, un artiste intemporel
En partenariat avec la galerie Gagosian, le Collège des Bernardins présente l'œuvre de Sterling Ruby, en écho aux peintures du diocèse de Paris. L'artiste californien présente une œuvre en céramique issue d'une série de 2014 intitulée "Basin Theology". Une fenêtre sur l'art contemporain à découvrir du 18 octobre au 16 décembre 2023.
Photos : @Bennet Perez et @Robert Wedermeyer
Traduction disponible sous l'entretien
Can you tell us about your artistic approach for this series entitled 'Basin theology' ? How did this ceramic series come about ?
Throughout my years of maintaining a ceramics studio I have contemplated the dilemma of what to do with all of my failed attempts. I would say one out of every three ceramics sculptures explode in the kiln, so the reality is I am often left with countless amounts of ripped, cracked, or shattered pieces.
The 'Basin Theology' series began with making new, large vessels that could be filled with those earlier failures
Instead of discarding this shrapnel, I've kept and cataloged these elements. The 'Basin Theology' series began with making new, large vessels that could be filled with those earlier failures — a vehicle to reuse those pieces. Once assembled, I fuse everything together through repeated glazing and kiln firings. The timing and duration of firing for each sculpture varies, but most take more than a month to complete.
Why did you choose this religious terminology in your title ?
There are many things that I see in these works — archeological sites or even graves — but I am also interested in how the vessel as a form has so many associations. As a utilitarian object it is inextricably linked to ceramics, but it is also ideologically religious. I like this devotional aspect and its role in ritualistic practice. The basins become offerings in a way ; they allow me to show the setbacks, the disappointments.
There is the reference to the vessel as used in mandatum (...) In the context of the Mass of the Lord's Supper, where Jesus washes the feet of his twelve apostles, it symbolizes humility.
The kiln firing itself is also a ritual : the work goes into the oven and gets heated to great temperatures, rising to the point of hardening soft clay to bone - like bisque, or melting the glass glaze and bringing forth bright colors that were unimaginable before the firing. Of course, you never really get to see any of this, so it’s almost an alchemic event. Then there is the reference to the vessel as used in mandatum, the ritual washing of feet, or ablution, the washing of part or all of the body or even possessions, like ceremonial objects, with the intent of purification or dedication. In the context of the Mass of the Lord's Supper, where Jesus washes the feet of his twelve apostles, it symbolizes humility.
The art that I love and find the most influential tends to be timeless.
My basin sculptures also serve as altars, continuing a tradition rooted in the narrative of Jesus' death and resurrection. This tradition culminates in the Stripping of the Altar during the Holy Week service, which still resonates today.
Your piece will be displayed among paintings of the Diocese of Paris from the 15th to the 20th century. With this exhibition at the heart of heritage art, in a 13th-century nave, one might think that you are exhibiting 'outside your borders'…
I try to avoid ideas that could limit where my art falls historically. The art that I love and find the most influential tends to be timeless. Things cycle as well, art that was made 1000 years ago, 300 years ago, 100 years ago, 50 years ago all have things in common. It’s not unlikely and almost a relief to know that artists in the pastwere making their work under similarly challenging conditions. That they too struggled and clasped tightly to their practices as a means of expression during oppressive and unfortunate times.
I like to see my art in comparison, within the context of a larger scale of time, and hopefully to feel the genealogy that it represents.
Pouvez-vous nous parler de votre approche artistique et de votre inspiration pour cette série intitulée "Basin Theology" ?
Durant mes années de travail dans un studio de céramique, j'ai été confronté au dilemme de savoir ce qu'il fallait faire de toutes mes tentatives ratées. Je dirais qu'une sculpture en céramique sur trois explose dans le four. De fait, je me retrouve souvent avec d'innombrables pièces déchirées, fissurées ou brisées.
Au lieu de jeter ces éclats, je les ai conservés et catalogués. La série "Basin Theology" a commencé par la fabrication de nouveaux et grands récipients remplis de ces précédents échecs, comme un moyen de réutiliser ces pièces. Une fois assemblées, je fusionne le tout par des glaçages répétés et des cuissons au four. Le moment et la durée de la cuisson varient d'une sculpture à l'autre, mais la plupart prennent plus d'un mois.
Pourquoi avez-vous choisi cette terminologie religieuse dans votre titre ? Comment identifiez-vous le lien entre l'art et la théologie ?
Il y a beaucoup de choses que je vois dans ces œuvres - des sites archéologiques ou même des tombes - mais je m'intéresse également aux multiples associations de la forme même du récipient. En tant qu'objet utilitaire, il est inextricablement lié à la céramique, mais il est aussi religieux. J'aime cet aspect dévotionnel et son rôle dans les pratiques rituelles.
Les bassins deviennent en quelque sorte des offrandes ; ils me permettent de montrer les échecs, les déceptions. La cuisson elle-même est également un rituel : l'œuvre entre dans le four et est chauffée à des températures élevées, jusqu'à durcir l'argile molle en os (comme de la bisque), ou à faire fondre la glaçure du verre et à faire apparaître des couleurs vives qui étaient inimaginables avant la cuisson. Bien sûr, on ne voit jamais rien de tout cela, c'est donc presque un phénomène alchimique. Puis il y a la référence au récipient tel qu'il est utilisé dans le mandatum (le lavage rituel des pieds) ou l'ablution (le lavage d'une partie ou de la totalité du corps ou même des biens), comme les objets de cérémonie, dans l'intention de purification ou de dédicace. Dans le contexte de la messe de la Cène, où Jésus lave les pieds de ses douze apôtres, il symbolise l'humilité.
Mes sculptures de bassins servent également d'autels, poursuivant une tradition enracinée dans le récit de la mort et de la résurrection de Jésus. Cette tradition culmine avec le dépouillement de l'autel lors de l'office de la Semaine sainte, qui résonne encore aujourd'hui.
Votre œuvre sera exposée parmi les peintures du diocèse de Paris du XVe au XXe siècle. Avec cette exposition au cœur de l'art patrimonial, dans une nef du XIIIe siècle, on pourrait penser que vous exposez "hors de vos frontières"...
J'essaie d'expérimenter un art qui ne soit pas limité dans le temps, à la fois tourné vers l'avenir et attaché à son héritage artistique. L' art qui me marque et que je trouve le plus influent tend à être intemporel. Les œuvres sont connectées les unes aux autres : entre l'art réalisé il y a 1000 ans, 300 ans, 100 ans, 50 ans, tous ont des points communs. Je suis presque soulagé de savoir que les artistes du passé réalisaient leurs œuvres dans des conditions tout aussi complexes et stimulantes. Que eux-aussi luttaient et s'accrocher à leurs pratiques comme moyen d'expression en des temps troublés. J'apprécie voir mon art pris dans une échelle de temps plus large, et percevoir la filiation qu'il représente.
Saviez-vous que près de la moitié des ressources du Collège des Bernardins provient de vos dons ?
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