Saint-Paul et la fin des temps

La religion chrétienne est fondée sur l'attente du retour du Messie à la fin des temps. Mais que signifie cette expression ? Édouard Girard, docteur en philosophie, professeur au Collège des Bernardins et chercheur associé à HiPhiMo, Paris I Panthéon-Sorbonne, nous aide à comprendre cette notion telle que Saint-Paul l'a traitée dans ses épîtres.

Publié le
7/7/23
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La vie chrétienne : une attente de Dieu

Dans les évangiles comme dans l’Apocalypse de Jean, l’horizon eschatologique travaille la temporalité chrétienne. Pour le croyant, la fin des temps adviendra lors du retour définitif du Christ, achevant ainsi l’histoire du monde. En conséquence, c’est la vie chrétienne toute entière qui est déterminée par cette temporalité de l’attente. Comme le dit Jésus à ses disciples :

"Vous le savez, si le maître de maison connaissait l’heure à laquelle le voleur va venir, il ne laisserait pas percer le mur de sa maison. Vous aussi tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir". (Luc 12, 39-40)

Le chrétien, invité par le Christ à la vigilance, est convaincu par lui de son retour. Mais les contours de cette attente restent flous. C’est sans doute le caractère imprécis des modalités de celle-ci qui invita Paul à en donner une idée plus nette. Pour l’essentiel, sa façon de traiter de la fin des temps vise un double objectif.

Une précision doctrinale

En premier lieu, Paul tient à préciser le contenu doctrinal de cette attente. Celui-ci est exposé de manière claire dans la Première épître aux Thessaloniciens où il écrit :

"Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans l’ignorance au sujet des morts, afin que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les autres qui n’ont pas d’espérance. Si en effet nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, de même aussi, ceux qui sont morts, Dieu les ramènera par Jésus avec lui. Voici ce que nous disons, d’après un enseignement du Seigneur : nous, les vivants qui serons restés jusqu’à la venue du Seigneur, au signal donné, nous ne devancerons pas tous ceux qui sont morts. Car lui-même, le Seigneur, au signal donné, à la voix de l’archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel : alors les morts en Christ ressusciteront d’abord ; ensuite nous, les vivants, qui serons restés, nous serons enlevés avec eux sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi, nous serons toujours avec le Seigneur." (1 Ts, 4, 13-17)

Les éléments essentiels du dogme eschatologique chrétien sont ramassés ici : Jésus reviendra, avec lui les morts ressusciteront, et l’histoire prendra fin par ce dernier avènement. Comme une parenthèse entre la Création et la Parousie, le monde auquel nous appartenons est intégralement déterminé par ces deux événements qui le balisent, l’un déjà advenu, l’autre que nous attendons encore.

Une fin des temps imminente pour les premiers chrétiens

De plus, ce passage nous donne des éléments pour comprendre la réalité des premières communautés chrétiennes. En effet Paul, pour des raisons de datation, n’a certainement jamais eu connaissance des évangiles canoniques de notre Bible. Ses sources sont probablement issues des témoignages des apôtres et de la tradition orale en général, sinon de textes évangéliques perdus.

Ici, la préséance accordée aux morts sur « nous », les vivants, au moment où le Christ reviendra, acte du fait que les premières communautés chrétiennes ont sans doute été convaincues qu’elles vivraient personnellement la Parousie. Un événement proche donc, qui détermine la condition humaine et auxquelles les églises que visite Paul doivent se préparer au mieux et au plus vite.

La vie chrétienne et la patience universelle

Parce que la condition humaine a été bouleversée par la première venue du Christ, les modalités de l’existence sont à leur tour reconfigurées, et ce pour l’humanité entière. En ce sens, la réflexion paulinienne sur la fin des temps est en second lieu une réflexion éthique et universelle. Ainsi, dans l’Épître aux Romains, l’apôtre des nations écrit :

"Moïse lui-même écrit de la justice qui vient de la loi : l’homme qui l’accomplira vivra par elle. Mais la justice qui vient de la foi parle ainsi : Ne dis pas dans ton cœur : qui montera au ciel ? Ce serait en faire descendre le Christ ; ni : Qui descendra dans l’abîme ? Ce serait faire remonter Christ d’entre les morts. Que dit-elle donc ? Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur. Cette parole, c’est la parole de la foi que nous proclamons." (Rm 10, 5-9)

Le salut s’adresse à chacun en particulier, parce que chaque personne a la puissance de recevoir en son cœur la parole de Dieu et de la faire sienne. Chaque homme peut ainsi disposer son cœur à la conversion et par cela même obtenir le salut. Ici se joue donc une conséquence cruciale de la venue du Christ dans le monde : la Nouvelle Alliance étant destinée à tous les hommes et non plus à la seule postérité d’Abraham, la préséance des Juifs sur les païens dans l’obtention du salut de Dieu s’estompe. Parce qu’elle est intérieure, et non plus tributaire de la chair, la foi en la résurrection des morts devient une foi proprement universelle.

Le salut s’adresse à chacun en particulier, parce que chaque personne a la puissance de recevoir en son cœur la parole de Dieu et de la faire sienne.

Une préparation concrète à la Résurrection

Si Paul a donc cherché dès les premiers temps du christianisme à préciser les contours théoriques de l’eschatologie chrétienne, son enseignement prend de ce fait un tour pratique et éthique dans la vie de chaque chrétien. En ce sens, la fin des temps n’invite pas à un attentisme passif, elle est au contraire une préparation de tous les jours, cette « conversion avec rejet des œuvres mortes et foi en Dieu » ( Hb 6, 1). La vie éternelle commence ici et maintenant.

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