Art et Culture

L'enfer n'est-il qu'une question de géométrie ?

L'Enfer fascine et terrifie depuis des siècles, avec ses nombreuses représentations dans la littérature, la théologie et l'art. De Dante et sa Divine Comédie à Galilée, l'Enfer est à la fois un lieu de tourments imaginé et une métaphore puissante de la souffrance humaine. Que savons-nous vraiment de cet au-delà infernal ? Cet article explore les théories scientifiques, littéraires les plus célèbres, pour finalement se pencher sur ce que dit le Catéchisme de l'Eglise catholique aujourd'hui.

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Cet article est extrait du cours "Théologie et sciences : les paradoxes" dispensé par Christine Dezarnaud-Dandine. Ouvert à tous, cet enseignement s'intéresse au dialogue entre sciences et religions. 

Où donc se trouve l’Enfer ? Sur la Lune ? Dans le Soleil ? Ou au fond d’un trou noir ?

À en croire certains penseurs des siècles passés, l'Enfer pourrait être situé à des endroits pour le moins surprenants. Ribera, un jésuite espagnol du XVIe siècle, affirmait que l'Enfer était sur la Lune. Whiston, un théologien anglais du XVIIIe siècle, croyait quant à lui qu'il se trouvait dans les comètes, tandis que son contemporain Swinden était convaincu que c’était dans le Soleil qu’il fallait le chercher. Mais qu’en est-il réellement ? Que nous dirait aujourd’hui l’astrophysique en supposant que cette discipline scientifique puisse répondre à cette question ? En 2001, un couple de scientifiques américains Jack et Rixella van Impe affirmaient que l’Enfer se situait dans les trous noirs.

Mais pour explorer cette géométrisation de l'Enfer, tournons-nous d’abord vers une source littéraire classique : l'Enfer de Dante Alighieri, tel que "géométrisé" par Galilée.

Les Enfers avant Dante : des ténèbres mythologiques aux épouvantes antiques

L'Enfer, aussi impensable et indescriptible soit-il, a toujours enflammé l’imagination humaine. Les premières représentations de ce royaume ténébreux remontent à l'Antiquité : dans l'épopée de Gilgamesh, par exemple, l'Enfer est une sombre demeure aux sept murailles et à la route sans retour, où les âmes errantes se nourrissent d’argile. La mythologie grecque, avec ses récits tels que la Théogonie d'Hésiode ou l'Odyssée d'Homère, ajoute des éléments nouveaux : les enfers grecs sont marqués par des fleuves infernaux (Achéron, Styx, Cocyte, Phlégéthon), un gardien à trois têtes nommé Cerbère, et des champs d’éternel bonheur pour les élus, les Champs Elysées.

La longue tradition antique de la descente aux enfers

L'Enfer est donc traditionnellement souterrain, sombre, parsemé de flammes et de glace, rempli de rivières et d’êtres mythologiques. La représentation de l’Enfer devient de plus en plus dramatique au milieu du XIVe siècle à cause de la terrible Grande Peste qui a tué presque un tiers de la population en Europe.

Mais, avec un certain poète florentin, la représentation de ce lieu maudit prend une nouvelle tournure et devient un paysage, un édifice extraordinaire !

Dante : Poète, Architecte et Explorateur de l'Enfer

Avec sa Divine Comédie, Dante devient bien plus qu’un poète ; il se mue en architecte de l’Enfer. Son œuvre, écrite entre 1308 et 1321, propose une visite guidée des neuf cercles infernaux, chacun correspondant à des péchés spécifiques, allant du plus léger au plus grave.

La forme précise de l’Enfer décrit par Dante n’est pas explicitée dans le poème. Il fait référence à un monde souterrain, également en accord avec la tradition chrétienne de son époque. Il rompt toutefois avec la tradition de l’Hadès gréco-latine en donnant à l’Enfer une forme circulaire. Dante décrit ce monde comme un immense cône inversé, dont la pointe se trouve au centre de la Terre, au point même où se trouve Satan. 

Botticelli (1145-1510) effectua à la demande de Laurent de Médicis une série de dessins illustrant L’Enfer de Dante, probablement vers 1490.

Cette vision de l'Enfer au Moyen Âge reflète la conception chrétienne de la justice divine et de la rétribution pour les actions humaines, établissant ainsi des normes morales rigoureuses ! Soulignons aussi que l’Enfer et la menace de la damnation sont des thèmes récurrents de l'iconographie religieuse du Moyen Âge. Dante transforme ce spectacle effrayant en une visite progressive de l’Enfer, où l'on retrouve une grande partie de ses contemporains servant d’illustrations à une gamme étendue de châtiments possibles, proportionnés aux fautes commises !

En 1587, à Florence, Galilée est invité par l’Accademia Fiorentina pour parler de l’Enfer de Dante. Âgé de 23 ans et déjà brillant géomètre, Galilée se prête alors à un exercice mathématique des plus inattendus : il va tenter de calculer la forme et le volume de cet Enfer imaginé par Dante. Une démarche qui n’est pas pure fantaisie mais qui reflète le sérieux des débats de l’époque sur la topographie imaginaire de l’au-delà.

Deux Théories pour un Enfer : Manetti contre Vellutello

Dans ses leçons, Galilée se concentre sur deux théories majeures qui s’affrontent sur la forme de l’Enfer de Dante : celle d'Antonio Manetti et celle d'Alessandro Vellutello.

Selon Manetti, l’Enfer est une cavité conique avec son sommet au centre de la Terre et son axe qui passe par Jérusalem. Ce cône inversé est divisé en neuf cercles concentriques, représentant une sorte de terrarium cosmique où les pécheurs les plus graves sont plongés au plus profond. Manetti calcule l'angle au sommet du cône à 60°, mais Galilée conteste cette interprétation en s'appuyant sur les travaux d'Archimède.

De l'autre côté, Vellutello imagine l'Enfer comme une série de gradins, rappelant ceux d'un amphithéâtre antique, avec des parois parallèles à l'axe central. Galilée rejette cette idée, affirmant que la profondeur proposée par Vellutello est largement sous-estimée par rapport à la description de Dante.

L’Enfer sous le scalpel géométrique de Galilée

Avec rigueur mathématique, Galilée utilise la géométrie pour évaluer divers aspects de cet Enfer littéraire. Il se concentre notamment sur la taille des géants de l'Enfer et de Lucifer lui-même. En partant de la proportion de 1/8e pour la tête d’un géant, Galilée évalue la taille des géants à environ 25 mètres et celle de Lucifer à un vertigineux 1200 mètres !

Il va plus loin en calculant le volume de l’Enfer, admettant qu'il s'agisse d'un cône centré au centre de la Terre, avec un demi-angle de 30°. Selon ses calculs, le volume de cet Enfer serait de 63 millions de km³, soit environ 1/22,3 du volume total de la Terre.

Et la théologie dans tout ça ?

Mais alors, que dit l’Église de tout cela ? Pour le Catholicisme, l’Enfer n’est pas un lieu géographique. Il est défini par le Catéchisme comme un « état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu » (CEC 1033) et non comme une caverne infernale ou un trou noir cosmique. Les versets bibliques, tels que « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel » (Mt 25,41), évoquent bien sûr des peines éternelles, mais rien qui ressemble à un décor digne d’un architecte céleste.

Que l'Enfer soit une cavité sous terre ou une dimension parallèle, une chose est sûre : il est avant tout le reflet de nos choix et de nos actions, de notre capacité ou incapacité à aimer

Au final, peu importe que vous imaginiez l'Enfer comme un vaste amphithéâtre, un cône inversé ou un trou noir au fond de l’univers. L’essentiel réside dans la réflexion spirituelle que cette notion suscite. Que l'Enfer soit une cavité sous terre ou une dimension parallèle, une chose est sûre : il est avant tout le reflet de nos choix et de nos actions, de notre capacité ou incapacité à aimer. L’Enfer est un état de rupture éloigné de Dieu. Une vie sans Dieu pour l’homme en état de péché comme l’enseigne Jésus : « Alors il dira encore à ceux de gauche : Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25,41).

"L'Enfer, c'est de ne plus aimer" (Bernanos, Journal d'un curé de campagne)

Ces affirmations  au sujet de l’Enfer sont un appel à la responsabilité : l’homme doit user de sa liberté en vue de son destin éternel. Dieu ne prédestine personne à aller en Enfer (cf. DS 397 ; 1567) ; il faut pour cela une aversion volontaire de Dieu (c’est-à-dire un péché mortel), et y persister jusqu’à la fin.

Comme le dit si bien Bernanos, « L'Enfer, c'est de ne plus aimer » (Journal d'un curé de campagne). Et là, ni calcul ni géométrie n'y peuvent quelque chose.

Alors, où est l'Enfer ? Tout simplement, là où nous choisissons de ne plus aimer…

Découvrez la géométrisation de l'enfer en vidéo sur notre compte Instagram

Bonus pour les matheux : les calculs de Galilée sur le volume de l'Enfer davantage détaillés !

Selon Galilée, l’Enfer de Dante est un gouffre conique dont le sommet est au centre de la Terre, le demi-angle au sommet valant Θ =30°, borné par une calotte sphérique et recouvert par une voûte dont l’épaisseur d vaut 1/8e du rayon terrestre.

Si l’Enfer « arrivait jusqu’à la surface de la Terre », et que l’on ne tienne pas compte du volume de la voûte qui le recouvre, le volume de la cavité (délimitée en coupe par la ligne OAJBO) serait :

VEnfer = 2/3 π R³ (1 - cos θ)

à comparer au volume total de la Terre :

VTerre = (4/3) π R³

Soit, en proportion :

VEnfer/ VTerre = (2/3) π R³ (1 - cos θ) / (4/3) π R³

VEnfer/ VTerre = (1/2) (1 - cos θ)

VEnfer/ VTerre = (1/2) (1 - cos 30°) avec cos 30° = √3) / 2

VEnfer/ VTerre = (2 - √3) / 4

VEnfer/ VTerre = 1 / 14,92

Et en tenant compte de la voûte soit de la croûte terrestre, la hauteur de l’Enfer est réduite par un facteur 7/8 et son volume de (7/8)3 ce qui donne :

VEnfer/ VTerre = 1 / 22,3

De plus, le volume de la Terre est estimé à 1400 millions de km3 donc le volume de l’Enfer de Dante serait en arrondissant de 63 millions de km3.

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