Le pape François, Marseille et la Méditerranée

Après un déplacement à Marseille au retentissement international, le pape François clôture les Rencontres Méditerranéennes avec un discours au palais du Pharo, le 23 septembre 2023, dans lequel il alerte sur la crise migratoire et appelle l'Europe à un "sursaut de conscience pour prévenir un naufrage de civilisation". La venue pontificale souligne que cette « Mer entre les terres », comme espace sous tension et en déséquilibre, est devenue un véritable enjeu de "géopolitique catholique". Le département de recherche "Politique et religions" du Collège des Bernardins s'associe à cette réflexion méditerranéenne en organisant sur deux ans (2023-2024) un séminaire autour de "Géopolitique et religion en Méditerranée".

Publié le
25/10/23
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Par Blandine Chélini-Pont, professeur en Histoire contemporaine et Relations Internationales à l'université d'Aix-Marseille-France, et contributrice de la chaire Géopolitique et religions en Méditerranée (2023-2024). 

Retour sur le discours du Pharo.

Dans le cadre des troisièmes Rencontres Méditerranéennes, initiées par la Conférence épiscopale italienne et appelées à se transformer en Conférence épiscopale méditerranéenne, le pape a prononcé un discours de clôture, tenu dans le grand auditorium du Palais du Pharo.

La ville lui a servi de métaphore, pour présenter les déséquilibres contemporains de la Méditerranée et, en contrepoids, un projet ambitieux, en partant d’une comparaison inattendue entre la Méditerranée et le Lac de Tibériade faite par Giorgio La Pera, qui fait de Marseille l’équivalente contemporaine de la « Galilée des Nations » (Mat.4-15), terre de naissance, de vie et de prédication publique du Christ.

Cette « Mer entre les terres », comme espace sous tension et en déséquilibre, est devenu un véritable enjeu de "géopolitique catholique".

J’ai pu écrire, il y a quelque temps, que la vision méditerranéenne de François était une utopie mobilisatrice, comme l’Eglise catholique en a produit dans le passé.  Elle a ainsi affirmé pendant la première guerre mondiale, l’unité civilisationnelle/spirituelle de l’Europe, alors que le continent était en plein « suicide », selon les mots de son prédécesseur. Après la seconde guerre mondiale, l’institution catholique s’est mobilisée pour que se développe un courant politique européen, dont l’objectif était l’unité politique et économique du continent.

La vision méditerranéenne de François est une utopie mobilisatrice, comme l’Eglise catholique en a produit dans le passé (...) Construit sur un triptyque - mer, port, phare - le discours marseillais de François a projeté Marseille comme une allégorie de son utopie.

L’utopie méditerranéenne de François a la même fonction. Elle projette une réalité virtuelle à partir d’une situation particulièrement critique. La projection sert de cap et donne un but – comme l’utopie européenne – c’est-à-dire favoriser durablement la paix dans l’espace méditerranéen. Construit sur un triptyque – mer, port,
phare – le discours marseillais de François a projeté Marseille comme une allégorie de son utopie.

Par sa situation géographique, Marseille ouvre sur la mer méditerranéenne, imaginée comme un espace millénaire d’échanges entre des rives aux histoires et aux peuplements différents. François (re)définit la Méditerranée comme un laboratoire de cultures successives ou concomitantes, qui ont produit une manière universelle de penser l’humain, en soi et en l’autre. Les Méditerranéens sont donc chaudement appelés à se réapproprier leur mémoire profonde, et à agir en conséquence.

François appelle son Eglise à un « sursaut de conscience» qui permettrait de considérer le migrant comme une personne, et non un danger. 

L’action à mener passe par deux autres images de Marseille, celle du port (d’attache) et celle du phare.

Par l’image du port qui accueille les voyageurs et les exilés, François se tourne vers sa propre Eglise, rappelant que l’acte de charité, au cœur de la foi catholique, doit se porter vers l’étranger dans le besoin, soit aujourd’hui celui qui s’est jeté à la mer pour de bonnes raisons, et cherche au péril de sa vie une vie meilleure en Europe. Il en appelle à un « sursaut de conscience » qui permettrait de considérer le migrant comme une personne, et non un danger, à soulager à travers l’aide des réseaux associatifs ou paroissiaux et par une concertation forte entre les diocèses méditerranéens.

Une politique commune et pérenne de la migration, à rebrousse-poil des opinions publiques, chauffées de leur côté par le ressentiment, l’angoisse de la submersion et de l’effondrement culturel.

François se tourne ensuite vers les autorités publiques d’Europe, leur demandant un même effort de perspective, en considérant que la Méditerranée est un « reflet du monde », entre un Sud cumulant les dysfonctionnements (pauvreté, guerres, instabilité, insécurité climatique) et un Nord plus riche, plus outillé à tous les points de vue, et en paix. Il leur demande de se mettre d’accord collectivement et avec tous les pays méditerranéens, sur une politique commune et pérenne de la migration, à rebrousse-poil des opinions publiques, chauffées de leur côté par le ressentiment, l’angoisse de la submersion et de l’effondrement culturel. Cette politique serait pourtant, non seulement possible, mais la plus sage de toutes, en mettant fin au « naufrage de civilisation » dont la Méditerranée est devenue le théâtre.        

Le phare, comme dernière image de Marseille, représente celui de l’avenir possible, à travers sa jeunesse en cours de formation. Citant l’exemple de l’université d’Aix-Marseille, forte de 35 000 étudiants dont 5000 étrangers, François imagine les liens déjà réalisés et à développer entre les universités méditerranéennes, comme lieux d’accueil, de formation et de rencontres, capables « d’abattre les préjugés (…) et de conjurer les rhétoriques fondamentalistes ».

Dernier volet à peine évoqué : le dialogue et la rencontre interreligieux, portés comme la valorisation d’un commun spirituel méditerranéen, comme contrepoids salutaire pour dissiper dans les têtes l’hydre de la haine religieuse et la certitude du choc de civilisation.

Malgré sa profondeur et son humanité, ce discours marseillais de François a suscité beaucoup de critiques, politiques mais aussi catholiques, sur son angélisme supposé quand ce n’est pas son parti-pris tiers-mondiste.

Et le projet méditerranéen de François risque d’être encore plus critiqué si on y rajoute un dernier volet à peine évoqué à Marseille : le dialogue et la rencontre interreligieux, portés comme une inspiration nécessaire au temps présent, celle de la valorisation d’un commun spirituel méditerranéen, comme contrepoids salutaire pour dissiper dans les têtes l’hydre de la haine religieuse et la certitude du choc de civilisation. Il est certain que cet autre volet a tout autant de chances d’être mal jugé que le volet migratoire.

Pourtant, face au spectre d’une conflagration au Proche-Orient et à l’instrumentalisation immédiate qu’en font les professionnels de la déstabilisation terroriste en Europe, il montre toute sa pertinence.  

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