La démocratie entre fatigue et espoir

À l’approche des élections municipales 2020, retour sur un Mardi des Bernardins « Démocratie : ne vous laissez pas voler l’espoir ! » où théologie, politique et économie croisaient leur regard pour tenter de comprendre les sources profondes de la crise qui traverse notre système politique et redonner sens et force à notre démocratie. Un article écrit d’après les interventions de Marion Muller-Colard, théologienne, Dominique Potier, député de la 5ᵉ circonscription de Meurthe-et-Moselle et Romain Slitine, entrepreneur et essayiste spécialiste des innovations économiques et démocratiques.

Publié le
9/3/20
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Pourquoi une telle fatigue démocratique ?

Se sentir participant pour contrer l’individualisme et la démobilisation

Le premier symptôme de cette « fatigue démocratique » consiste en une lassitude d’une certaine forme de démocratie, la démocratie représentative et élective telle que nous la connaissons, où les Français n’ont l’impression d’être entendus que tous les cinq ans et crient à leur classe politique qu’elle ne les représente pas.

Cette crise de la représentativité est corrélée à une imperfection de la délégation. À trop déléguer la chose publique à des experts ou des spécialistes, chacun se dépossède de sujets qui le touchent directement et dont l’objet est purement anthropologique. Au même titre que le prophète Élie qui, désespéré, s’adresse à Dieu et s’écrie « Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères » (1R 19, 4), la tentation est grande, concernant la chose publique, de s’absenter et d’abandonner son bien à autrui.

Face à la démobilisation d’une génération et l’angoisse de ne pas parvenir à une société meilleure, chacun, pourtant, dispose d’une responsabilité liée à sa volonté de participer (Marion Muller-Colard).

Aussi devrions-nous répondre à Élie et nous astreindre à une certaine « hygiène de la participation », à défaut de laquelle d’autres s’empareront des sujets qui nous concernent et nous touchent personnellement.

Cette lassitude quant à l’exercice de la démocratie pourrait relever d’une crise du commun qui pousserait les citoyens vers l’abstention ou les votes « antisystème ». La mondialisation, vécue comme sans foi ni loi peut provoquer le recul de l’État de droit plutôt que son expansion à d’autres échelles, donc le sentiment d’une impuissance publique. L’individualisme contemporain amenuiserait, lui, le sentiment d’une responsabilité commune et pour autrui. Aussi provoquent-ils en retour un appel au commun, mais sous des atours réactionnaires et autoritaires (Dominique Potier).

Cette fatigue démocratique signifie-t-elle un dégoût du politique ?

Ce diagnostic ne doit cependant pas cacher une véritable avidité de politique. Chacun peut se raccrocher à son essence d’homo-politicus et se rallier au politique, au-delà des contingences de la politique telle qu’elle est exercée aujourd’hui, car nous sommes tous concernés, comme le dit Hannah Arendt, par « la grande scène des affaires humaines ». Entendu comme lieu spécifique d’établissement du droit et de la justice, le politique n’est pas voué à l’unique dégoût. Il faudrait ici reprendre Paul Ricœur et sa définition de la vie bonne : avoir l’estime de soi, avec et pour les autres.

Une crise de la vérité ?

Une crise de ce qu’est la vérité et de sa fixation peut renforcer le malaise dans la démocratie. Le relativisme et l’interdiction adressée à la politique de détenir la vérité font de cette dernière un objet de transaction, voire un rap- port de force.

Les prétentions à détenir la vérité sont plus inquiétantes quand elles se traduisent par la volonté de recourir à « un homme providentiel » (Romain Slitine). En tout état de cause, la recherche de la vérité en politique est une question complexe : « Qu’est-ce que la vérité ? » ; Pilate, au moment de prendre une décision politique de la plus grande importance, ne peut s’empêcher de se poser la question. Cette potentielle crise de la vérité est corrélée avec la crise de l’individualisme.

Pour reprendre la psychanalyste Catherine Ternynck dans son ouvrage L’Homme de sable, à force de devenir homme de sable, on devient vite homme de pierre. Aussi faudrait-il accepter la vérité dans une forme de souplesse et dépasser l’alternative stérile d’une tolérance appauvrie, presque uniforme, et son revers, le fanatisme. La réponse devrait être de se sentir suffisamment à l’aise avec son identité « pour avoir une porosité qui ne soit ni de l’étanchéité totale, ni de la dilution dans l’autre » (Marion Muller-Colard).

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Quelles nouvelles clés pour remédier à la fatigue démocratique ?

Renouer avec la citoyenneté locale et les mouvements d’éducation populaire

Les pratiques des responsables et les moyens dont dispose chacun pour participer pleinement à la vie publique constitueraient le véritable problème plus que les institutions elles-mêmes. À cet égard, les dynamiques locales (coopératives, associations) sont un formidable réservoir d’espoir citoyen. Avant tout, Dominique Potier regrette l’amoindrissement des mouvements d’éducation populaire. Ces mouvements, qu’il a lui-même fréquentés, redonnent de la fierté et de la voix aux invisibles de nos sociétés. La famille et l’école, seules, ne permettent pas aux personnes les plus pauvres et les plus méprisées d’accéder à une éducation civique et démocratique.

Une transcendance horizontale pour retrouver du sens

En dernier lieu, retrouver une forme de transcendance en politique pourrait nous sortir de l’impasse actuelle. Une transcendance « horizontale », une conviction selon laquelle nous nous augmentons les uns les autres serait d’autant plus désirable que la foi laïque nous manque tant. Nous devrions nous transformer en sujets pour dépasser l’individu. Nous changer, nous-mêmes, en personnes irremplaçables promet une société où chacun s’augmente au contact des autres. Cette transcendance est peut-être déjà à l’œuvre dans l’économie sociale et solidaire. La puissance publique et le droit à l’heure de la mondialisation constituent également une voie salvatrice. Pour reprendre les termes et l’injonction de Cynthia Fleury : « avoir le souci de l’État de droit, comme l’on a le souci de soi » serait un guide bien nécessaire pour redonner du sens à notre système politique.

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