Foi et raison sont-elles compatibles ?
Le Big Bang est-il une démonstration que le monde a été créé ? La théorie de l’évolution de Darwin est-elle la preuve que l’homme est arrivé par hasard dans le monde, sans qu’il y ait besoin de Dieu ? Graves questions, qui interrogent les rapports entre la foi et la science.
Deux sources de connaissances
Commençons par établir une distinction très importante. La doctrine catholique enseigne que l’homme dispose de deux sources de connaissance : La raison naturelle, et la foi.
Par sa raison naturelle, l’homme peut connaître tout ce qui est accessible à sa connaissance naturelle : la nature, ses lois, l’homme, etc. Il peut aussi parvenir à démontrer qu’il existe nécessairement une cause première de l’univers, que tout le monde appelle Dieu. Tout ce domaine de connaissance est l’objet de la philosophie. C’est aussi, en partie du moins, l’objet des sciences expérimentales : la physique, la chimie, la biologie ont pour but la connaissance du monde qui nous entoure.
Mais il est des choses que l’homme, laissé à ses seules forces, ne pourra jamais connaître. Ce sont les réalités surnaturelles, par exemple le mystère de la Sainte Trinité. Pour savoir qu’il y a trois personnes en Dieu, l’homme a besoin d’une lumière nouvelle, surnaturelle. Cette lumière surnaturelle, c’est la foi.
La doctrine catholique enseigne que l’homme dispose de deux sources de connaissance : La raison naturelle, et la foi (...) Ces deux sources de connaissance, la raison et la foi, viennent toutes deux de Dieu et donc, elles ne peuvent pas se contredire.
Ces deux sources de connaissance, la raison et la foi, viennent toutes deux de Dieu et donc, elles ne peuvent pas se contredire. C’est un point fondamental. Sinon, Dieu ne serait pas cohérent. Il y a nécessairement une harmonie entre la foi et la raison et donc une harmonie entre l’enseignement de la révélation, connu par la foi et transmis par l’Église, et les conclusions des sciences expérimentales, pour autant que ces dernières sont justes et faites à leur bon niveau.
Comme dit Jean-Paul II : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. » Voilà pour la théorie.
Ni discordisme ni concordisme
Dans la pratique, les choses sont un petit peu plus compliquées, et certaines théories scientifiques semblent parfois difficilement compatibles avec la révélation.
Prenons un exemple, choisi à dessein un petit peu polémique, pour nous aider à comprendre : la théorie de l’évolution de Darwin tient que l’homme est apparu sur terre par évolution à partir d’autres espèces vivantes, et que le moteur de cette évolution est le hasard. La foi chrétienne enseigne au contraire que l’âme humaine est créée directement par Dieu. Face à cette apparente contradiction, trois attitudes sont possibles.
La première est celle du discordisme, ou de la double vérité. La foi m’enseigne quelque chose dans son domaine, et c’est vrai pour le croyant ; la science me dit le contraire, et c’est vrai pour le scientifique. On trouve cette attitude déjà chez certains auteurs au Moyen Âge, et saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, a très vigoureusement combattu cette vision des choses. En fait, c’est un vrai suicide intellectuel. Je pense quelque chose quand je suis dans mon laboratoire, et je pense exactement l’inverse quand je réfléchis en chrétien. Position à exclure, donc.
« La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. (Jean Paul II, Fides et Ratio, 1998)
Deuxième possibilité. Je suis convaincu que Darwin a raison. Et donc, j’estime que l’Église se trompe quand elle enseigne que l’âme humaine est créée directement par Dieu. Là encore, cette position est intenable pour le croyant. Pourquoi ? Parce que Dieu est la vérité même.
Cependant, un autre cas de figure est possible dans les rapports entre science et foi. Parfois, les théories scientifiques semblent confirmer un enseignement de foi. Par exemple, beaucoup d’auteurs chrétiens voient dans la théorie du Big Bang une confirmation de la doctrine de la création. Le problème de ce genre d’approche, qui a sa pertinence dans son ordre – et que l’on appelle le concordisme – est que l’on accorde trop d’importance à la connaissance scientifique. Non pas bien sûr que la science serait méprisable, mais bien parce que, en raison de sa méthode, il est certaines conclusions auxquelles la science expérimentale ne peut pas parvenir. Expliquons ce dernier point. Le travail du scientifique peut se décomposer en trois niveaux, de plus en plus complexes : l’expérimentation par la mesure, l’élaboration de lois scientifiques et enfin l’élaboration de théories scientifiques.
Les trois niveaux de la connaissance scientifique
Le premier niveau est obtenu par la médiation d’un instrument de mesure. Un grand scientifique, Arthur Eddington, donne cet exemple : il cherche à expliquer la glissade d’un éléphant sur une colline avec une pente gazonnée. Pour modéliser cette expérience, il remplacer l’éléphant par sa masse (2 tonnes), la pente gazonnée par un plan incliné à 15 degrés, le gazon par un coefficient de frottement. Et, en combinant tous ces éléments, il va pouvoir évaluer la vitesse de descente de l’éléphant. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la science connaît le réel en le mathématisant, en l’exprimant par des nombres qui renvoient à la mesure de mes instruments. Et donc, le scientifique n’atteint pas l’être profond des choses (l’être de l’éléphant, la nature du mouvement, etc.), mais il atteint seulement un aspect du réel : une certaine quantité mesurable.
La science dit bien quelque chose du réel, et c’est très important, mais elle ne dit pas tout du réel. Lorsque les scientifiques veulent parler d’une réalité qui échappe à l’expérience (la création, Dieu, l’âme humaine), en fait, ils ne sont plus tellement dans leur domaine, mais passent dans celui de la philosophie ou de la théologie.
La science dit bien quelque chose du réel, et c’est très important, mais elle ne dit pas tout du réel.
Voilà pour le premier niveau. Une fois que le scientifique a établi un certain nombre de mesures, il peut élaborer des lois scientifiques. Par exemple, il pourra déterminer que la vitesse d’un objet est égale à la distance parcourue divisée par le temps : V=d/t, comme on l’apprend au collège. Ou encore, il pourra, toujours à partir de l’expérimentation, établir certaines lois de fonctionnement du vivant. Il atteint alors, généralement, une vraie certitude, qui lui permet de mieux connaître la structure de la matière, et le comportement des êtres physiques qui l’entourent.
Troisième niveau. Une fois que le scientifique a établi plusieurs lois, il va chercher à les mettre en relation les unes avec les autres. Il arrive ainsi à une synthèse organisée, qu’on appelle une théorie scientifique. Or il est rare qu’une théorie scientifique puisse être considérée comme absolument définitive. Elle doit souvent être corrigée à la lumière de nouvelles découvertes, et intégrée à une théorie plus vaste. C’est ce qui s’est passé par le passage de la physique de Newton à la physique d’Einstein. Et Einstein avait bien conscience du caractère limité des théories scientifiques, et il l’expliquait avec l’exemple suivant. Le scientifique est comparable à un homme qui trouve une montre, en état de marche, mais qu’il est incapable d’ouvrir. Cet homme va donc chercher à imaginer quel type de mécanisme peut expliquer le mouvement des aiguilles. Mais, parce qu’il ne pourra jamais ouvrir le boîtier, il ne pourra jamais être absolument certain que sa théorie est conforme à la réalité. Il se pourrait que l’explication réelle du mouvement des aiguilles soit différente de celle que propose sa théorie.
Voilà pourquoi il faut être prudent quand on veut défendre un élément de la foi chrétienne à partir d’une théorie scientifique. Car il se pourrait que de nouvelles découvertes scientifiques viennent invalider, au moins en partie, cette théorie. Saint Thomas d’Aquin était d’ailleurs, à son époque, assez prudent pour accepter les résultats des observations des astronomes. Par ailleurs, les théories scientifiques ne sont jamais neutres sur le plan philosophique. La plupart des scientifiques s’accordent sur les deux premiers niveaux, l’expérimentation et les lois. Les désaccords surviennent au niveau des théories, et s’expliquent en raison de divergences philosophiques (ou théologiques). Il est donc très utile, quand on discute de ces questions, de chercher à mettre au jour les présupposés philosophiques de telle ou telle théorie scientifique.
On pourra ainsi nouer un dialogue fécond entre science, foi et philosophie, et contempler, dans l’univers, l’œuvre de la sagesse divine.
Cet article est republié à partir de la chaîne YouTube de la Fraternité Saint Vincent Ferrier
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