Éthique biomédicale
Médecine et idéologie
Ce séminaire de recherche propose d’explorer et de décrire les mécanismes d’emprise de l’idéologie sur la médecine et plus généralement sur les sciences biologiques, et l’organisation de la santé publique.
Dans un monde travaillé de toute part par les idéologies conceptualisant l’humain et organisant les sociétés selon des utopies totalitaires, la médecine, surtout depuis deux siècles, est à la fois un miroir de ces façonnages et une médiation agissante sur le corps humain et sur les sociétés.
Parce que la médecine sous-tend elle-même une anthropologie et une organisation sociale à visée de santé, parce qu’elle est rendue puissante entant que connaissance et que technique, parce qu’elle n’est accessible, en tant que connaissance et que technique, que par un petit nombre d’individus dépositaires, elle est un outil particulièrement performatif pour incarner les idéologies. Promettant le soin à l’individu, la guérison, peut-être l’immortalité, mais aussi la survie sélective, la beauté, la force, l’augmentation de performances (grâce à la connaissance et à la technique toujours en marche, toujours croissantes), elle est pour le pouvoir un domaine à capter et pour les gouvernés un objet de mystère, d’émerveillement et d’espoir. Elle est donc aussi un opium, désormais bien plus efficace et accessible que la religion. Elle jouit de la merveilleuse dualité d’être à la fois biologique, donc humaine, et technique, donc sans limites. À cet égard, il est intéressant de se rappeler que lors de la pandémie de Covid, les médecins étaient convoqués en tant que savants, ce qu’ils ne sont certes pas, étant d’abord des praticiens, de plus en grande partie des empiriques.
Le projet de ce séminaire est d’analyser la façon dont la structure et le fonctionnement de l’immémorial projet médical de soigner (bien avant de guérir) son frère humain peut se transformer en mécanismes d’emprise individuelle et collective.
sous la direction de
Les objectifs du séminaire
- Repérer et travailler avec des chercheurs philosophes, médecins, juristes psychanalystes, théologiens, les tensions éthiques apparaissant dans l’exercice de la médecine confrontées à des problématiques sociétales, utilitaristes, managériales, humanitaires.
- Faire intervenir des experts sur les idéologies totalitaires, nazies, russes ou chinoises en matière de médecine, mais aussi sur la médecine humanitaire et le droit d’ingérence, la psychiatrie et l’enfermement, la médecine carcérale, autant de thématiques nécessitant que l’on les mette en perspectives à l’aune de l’éthique médicale.
- Passer de la critique à la pratique avec des questionnements éthiques et des propositions visant à améliorer l’exercice de notre médecine actuelle au prisme de l’autonomie, de la bienveillance, de la non malfaisance et de la justice et de l’équité.
Des penseurs ainsi que des praticiens seront questionnés : des philosophes avec Canguilhem (idéologie et rationalité- 1977), Foucault(invention de la clinique), Illich (Némésis médicale -1974), Ricœur (Idéologie et utopie- 1986), Hans Jonas et leurs héritiers et bien sûr Platon, des historiens des phénomènes totalitaires et des analystes contemporains des utilisations de la médecine et des biotechnologies conduisant à une modification anthropologique de l’humanité et à son asservissement aux idéologies contemporaines.
La mutation anthropologique recherchée par les théories contemporaines du genre et la technicisation du début et de la fin de vie sera particulièrement scrutée en tant que forte expression idéologique.
Le conseil scientifique
Anne-Laure BOCH, neurochirurgien et docteur en philosophie
Cyril GOULENOK, réanimateur et doctorant en philosophie
Éric FIAT, professeur de philosophie et d’éthique médicale, Université Gustave Eiffel
Dominique FOLSCHEID, professeur de philosophie émérite, Université Gustave Eiffel
Véronique LEFEBVRE des NOËTTES, psychiatre, docteur en philosophie et co-directeur du département de recherche Éthique biomédicale du Collège des Bernardins
Jean LACAU ST-GUILY, professeur émérite d’ORL et co-directeur du département de recherche Éthique biomédicale du Collège des Bernardins
Didier TRUCHET, professeur émérite de droit
Monette VACQUIN, psychanalyste, essayiste
Le programme – 2024
Mercredi 17 janvier
Soigner le corps du "peuple". L'éthique médicale nazie
Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine, spécialiste de l'histoire de l'Allemagne et du nazisme, Sorbonne Université
Mercredi 7 février
Qu’est-ce que l’idéologie ?
Chantal Delsol, philosophe, Institut de France
Mercredi 13 mars
La notion de la vérité dans les sciences biomédicales : pourquoi elle est importante et pourquoi il faut la défendre
Andreas Bikfalvi, professeur de Biologie cellulaire et moléculaire, Laboratoire de Biologie Tumorale et Vasculaire, Bordeaux Institute of Oncology, INSERM U1312, Université de Bordeaux
Mercredi 3 avril
De Lyssenko aux Woke. La science à l'épreuve des idéologies
Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS; enseignant, Université Grenoble-Alpes
Mercredi 15 mai
La médecine n'a plus d'extérieur (M. Foucault)
Laurent Vercoustre, ancien gynécologue-obstétricien, Groupe hospitalier du Havre
Mercredi 16 octobre
La médecine humanitaire au risque de l’idéologie ? Devoir d’ingérence
Docteur Raphaël Pitti, médecin Humanitaire, anesthésiste-réanimateur, professeur de Médecine d’urgence et de catastrophe
Mercredi 13 novembre
Les utopies biomédicales d'Auguste Comte. Vers le transhumanisme ?
Jean-François Braunstein, professeur de philosophie et d’histoire des sciences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mercredi 11 décembre
La médecine peut-elle se passer d'idéologie ? de Cabanis à Illich
Jean-Philippe Pierron, professeur à la faculté de philosophie, Université de Dijon